Le locataire et l’hypothèque légale de la construction

Le locataire et l’hypothèque légale de la construction ne font pas bon ménage et c’est ce que le récent jugement (1er février 2012) de la Cour supérieure rendu par le juge Michel Delorme dans 9005-4412 Québec inc. c. La Rose de Tyr inc. et Razia Rajput (2012 QCCS 239) est venu rappeler.

Dans cette affaire, 9005-4412 Québec inc. faisant affaires sous la raison sociale de Willibec (« Willibec ») requiert le délaissement forcé et la prise en paiement d’un immeuble appartenant à Mme Razia Rajput suite à l’exécution de travaux d’aménagement demandés par le locataire (La Rose de Tyr inc.), lesquels travaux furent exécutés mais non payés.

Les faits de l’affaire :

En juin 2008, un bail est conclu entre le locataire et le bailleur, Mme Razia Rajput, afin d’exploiter un restaurant et une poissonnerie et où il est aussi prévu, entre autres, que des modifications requises aux fins de son commerce pourront être apportées aux lieux loués, mais que de telles modifications soient préalablement approuvées par écrit par le bailleur.

Subséquemment, le locataire exécute un contrat pour l’aménagement de ses lieux loués avec Willibec et où le bailleur n’intervient aucunement.  Willibec avait par ailleurs dénoncé au bailleur un premier contrat, lequel contrat fut par la suite modifié.  Willibec débute ses travaux et, pour toutes sortes de raison, le locataire ne paie pas Willibec.  Les travaux sont suspendus.  Une entente de principe intervient en juillet 2008, mais n’est aucunement respectée par le locataire.  Le 8 août 2008, Willibec publie contre l’immeuble du bailleur où sont situés les lieux loués un avis d’hypothèque légale de la construction et le 5 décembre un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire, d’où le recours en délaissement forcé et prise en paiement.

Dans cette affaire, le juge Delorme se posa, entre autres, la question sur la validité de l’hypothèque légale de la construction.  Pour ce faire, le juge Delorme rappela le libellé des articles 2726 et 2728 C.c.Q. que voici :

« 2726. L’hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble ne peut grever que cet immeuble. Elle n’est acquise qu’en faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux. Elle existe sans qu’il soit nécessaire de la publier. 

2728. L’hypothèque garantit la plus-value donnée à l’immeuble par les travaux, matériaux ou services fournis ou préparés pour ces travaux; mais, lorsque ceux en faveur de qui elle existe n’ont pas eux-mêmes contracté avec le propriétaire, elle est limitée aux travaux, matériaux ou services qui suivent la dénonciation écrite du contrat au propriétaire. L’ouvrier n’est pas tenu de dénoncer son contrat.

(Nous avons souligné)».

et il rappela aussi un jugement important rendu par la Cour suprême du Canada qui s’était penchée sur cette question sous la plume de Madame la juge Claire L’Heureux-Dubé dans l’affaire Industries Providair Inc. c. Kolomeir, [1988] 1 R.C.S. 1132, dont voici l’extrait pertinent en l’espèce :

« [24]        Dans l’arrêt Industries Providair Inc. c. Kolomeir, [1988] 1 R.C.S. 1132 , pages 1144 et ss., madame la juge L’Heureux-Dubé exprimant les motifs de la Cour suprême écrit ce qui suit :

En règle générale, le locataire d’un immeuble qui, pour son propre compte, effectue des travaux de construction ou apporte des améliorations aux lieux loués n’agit pas en tant que constructeur et n’engage pas le propriétaire des lieux vis-à-vis l’entrepreneur ou le sous-entrepreneur. Ceux qui contractent ainsi avec le locataire ne peuvent prétendre à un privilège sur tel immeuble à moins qu’ils aient contracté directement avec le propriétaire. ll leur appartient plutôt de s’assurer de la solvabilité du locataire pour le coût des travaux ainsi effectués à la réquisition et pour le compte de ce dernier.

Rien n’empêche cependant le propriétaire et le locataire, outre le bail <conventionnel> pour employer l’expression du premier juge, de faire, à l’intérieur du bail, ou par convention distincte, un contrat de construction. La convention des parties fait loi et il n’existe aucune disposition légale qui interdise de telles ententes. ll s’agit donc dans chaque cas d’analyser la convention des parties pour en déterminer la nature.

[…]

[…] une remarque préliminaire me paraît nécessaire. Tant la Cour supérieure que l’intimée semblent faire reposer la qualification de la convention intervenue entre le propriétaire et le locataire sur les éléments suivants de la convention: la nature et l’ampleur des travaux entrepris par le locataire, l’autorisation et l’approbation du propriétaire ainsi que sa connaissance et sa participation aux travaux, la rétention des travaux par le propriétaire sans indemnité à la fin du bail et finalement l’avis transmis au propriétaire par le fournisseur de matériaux.

J’estime que ni l’un ni l’autre de ces éléments, pris individuellement ou non, ne saurait en soi être déterminant à cet égard. En effet, lorsqu’un locataire, dans un bail dit «conventionnel» s’engage à faire des travaux dans les lieux loués, de quelque envergure soient-ils, il ne sera pas rare et il est tout à fait légitime que se retrouvent au bail une description des travaux, l’obligation d’obtenir du locateur l’approbation préalable des plans et devis, ce qui implique sa connaissance et son approbation des travaux ainsi que la clause que je qualifierais d’usuelle, prévoyant le droit du locateur de retenir tels travaux, à son choix, à l’expiration du bail. De même n’est pas pertinent, le fait que le propriétaire visite les travaux et y participe et que le fournisseur de matériaux ou l’ouvrier donnent avis au propriétaire du contrat ainsi que des matériaux et main-d’œuvre fournis. En soi, tous et chacun de ces éléments ne sauraient faire d’un bail pur et simple un contrat de construction. Rien ne s’oppose en effet à ce qu’un bail contienne l’une ou l’autre ou l’ensemble de ces clauses.

Tous ces facteurs, sans pertinence en soi lorsqu’il s’agit de déterminer la nature de la convention entre propriétaire et locataire, peuvent toutefois servir d’indices de nature à confirmer ou à infirmer la véritable nature de la convention des parties.

[…]

La question est cependant de savoir si les parties ont, à l’intérieur de ce bail, entendu se lier par un contrat de construction, peu importe par ailleurs le titre dont elles ont coiffé ce contrat.

[Nous avons souligné]

[25]        À la page 1152, elle ajoute :

[…] ici les travaux sont au bénéfice du locataire, à sa demande, pour ses propres fins et à ses frais. ll est prévu au bail qu’à l’expiration du bail de vingt ans l’immeuble et les améliorations demeureront la propriété du propriétaire. Cependant, il ne va pas de soi que, d’une part, n’eussent été les besoins particuliers du locataire, le propriétaire eût entrepris ces travaux et, d’autre part, que ces améliorations eussent retenu quelque valeur commerciale ou autre, compte tenu des besoins du commerce et de la dépréciation à cette époque éloignée. Si bénéfice au propriétaire il y a, ce qui n’est que pure spéculation, tel bénéfice n’est ni évident ni prochain.».

Le juge Delorme constata alors:

  • que Willibec n’avait pas contracté avec le bailleur, Mme Rajput;
  • que dans l’avis d’hypothèque légale, Willibec mentionnait que les travaux avaient été exécutés à la demande du locataire;
  • que le bail entre le bailleur et le locataire n’avait rien d’un contrat d’entreprise ou de construction et ne pouvait non plus y être assimilé;
  • que Willibec ne pouvait être considéré un entrepreneur ou sous-entrepreneur vis-à-vis le bailleur; et
  • qu’il y avait bien une créance à l’égard du locataire, mais que cette créance ne permettait aucunement la publication d’une hypothèque légale sur l’immeuble du bailleur.

Dans cette affaire, le tribunal ordonna donc la radiation de l’avis d’hypothèque légale ainsi que du préavis d’exercice d’un droit hypothécaire publiés par Willibec.

En conclusion

Ce qu’il faut retenir en l’espèce est que pour bénéficier du droit de publier une hypothèque légale de la construction, il faut que les travaux aient été commandés par le propriétaire et non par le locataire.  Cependant, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il est possible qu’un propriétaire et un locataire aient pu conclure un contrat de construction ou puisse en être assimilé ainsi et dans ces cas particuliers, l’hypothèque légale pourrait subsister.  Il faut donc agir avec prudence, puisque chaque cas est cependant un cas d’espèce.

De plus, le bailleur sera prudent en insérant dans son bail une clause à l’effet qu’aucune telle hypothèque légale ne puisse être publiée à l’encontre de l’immeuble où sont situés les lieux loués et ce, pour les travaux du locataire.

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