L’importance d’être un bon citoyen corporatif
Le 3 avril 2012, l’Honorable Serge Francoeur a rendu un jugement dans l’affaire Bouchard c. Beaupré concernant la liquidation et dissolution d’une société régie par la Loi sur les sociétés par actions (ci-après LSAQ). Outre la question de déterminer si l’un des demandeurs est un véritable actionnaire ou s’il agit plutôt comme prête-nom, le juge y analyse le caractère approprié de la dissolution et la liquidation d’une société pour certains manquements à la LSAQ.
En plus des articles 451(12) et 461 de la LSAQ, les articles 462 et 463 prévoient la dissolution judiciaire d’une société:
462. À la demande de toute personne intéressée, le tribunal peut prononcer la dissolution de la société lorsque, de l’avis du tribunal, des motifs suffisants justifient une telle dissolution ou lorsque la société:
1° n’a pas observé pendant au moins deux années consécutives les dispositions de la présente loi en matière de tenue des assemblées annuelles;
2° exerce ses activités en violation de ses statuts;
3° a enfreint les dispositions des articles 32 ou 228.
Pour l’application du premier alinéa et lorsque la dissolution est prononcée dans l’intérêt public, l’expression «motifs suffisants» s’entend notamment du fait que la société a été déclarée coupable pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) ou à toute autre loi fédérale ou provinciale.
463. À la demande d’un actionnaire, le tribunal peut ordonner la dissolution de la société ou d’une société du même groupe dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
1° il constate que la société agit abusivement à l’égard des détenteurs de valeurs mobilières de la société, de ses administrateurs ou de ses dirigeants, ou se montre injuste à leur égard en leur portant préjudice:
a) soit en raison de son comportement;
b) soit par la façon dont elle exerce ou a exercé ses activités ou par la façon dont elle conduit ou a conduit ses affaires internes;
c) soit par la façon dont les administrateurs de la société exercent ou ont exercé leurs pouvoirs;
2° il constate la survenance d’un événement qui, selon une convention unanime des actionnaires, permet à l’actionnaire d’exiger la dissolution;
3° il estime qu’une telle dissolution est une mesure juste et équitable dans les circonstances.
Dans l’affaire précité, le demandeur se plaint de conflits entre les parties, d’être mis à l’écart de l’administration de la société, de ne pas avoir accès aux détails des transactions bancaires, à sa situation financière et au livre des minutes. Plus particulièrement, le demandeur reproche à la société de ne par avoir tenu en 2010 et 2011 des assemblées annuelles d’actionnaires et de ne pas avoir produit en 2011 les états financiers pour 2010, ce qui entraine une perte de confiance en la société, ainsi que des manquements aux articles 462 (1?), (3?) et 463 (1?) a), b), c) de la LSAQ.
Lorsqu’un tribunal conclu à un manquement à ces articles, l’article 464 LSAQ prévoit :
464. À l’occasion d’une demande de dissolution présentée en vertu des articles 462 et 463, le tribunal peut rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée y compris, dans le cas de l’article 463, une ordonnance visée à l’article 451.
Toutefois, si le tribunal ordonne la dissolution à l’occasion d’une demande présentée en vertu de la présente sous-section, il doit également ordonner la liquidation préalable de la société lorsque celle-ci a des biens ou des obligations.
Dans cette affaire, le Tribunal est d’avis que la société a contrevenu à la LSAQ car effectivement il n’y a pas eu d’assemblée annuelle, le livre de minute n’était pas accessible et les états financiers n’étaient pas produits. Cependant, il juge inapproprié d’ordonner la dissolution ou la liquidation de la société car elle est une entreprise embryonnaire avec un bon potentiel. En conséquence, le Tribunal ordonne à la société de remplir ses obligations corporatives.
En vertu de l’article 464 LSAQ, le Tribunal saisi d’une demande de dissolution pour un cas visé par l’article 463 se voit conféré une grande discrétion et a à sa disposition diverses ordonnances, dont même celles visées par l’article 451 dans le cadre de recours en cas d’abus. S’inspirant de l’article 451 (14?) LSAQ, le juge Francoeur ordonne à l’actionnaire majoritaire de rembourser au demandeur ses honoraires extrajudiciaires pour obtenir ce que la loi prévoit minimalement à titre d’actionnaire.