Recours collectif post-faillite: d’anciens administrateurs et actionnaires visés!
Comme le disent les Anglais, « it’s not over til it’s over! » La Cour supérieure autorisait récemment un recours collectif contre les anciens administrateurs et actionnaires de Domfer Poudres métalliques inc. (« Domfer »), une entreprise qui a fait faillite en 2008.
Bref rappel des faits: entre 1997 et 2007, Domfer, qui œuvrait dans le domaine de la métallurgie, avait fait l’objet d’un recours collectif par un groupe de personnes résidant dans les environs de son usine de Ville-Émard pour troubles de voisinage. La Cour d’appel condamnait alors Domfer à verser plus de 1,6 millions $ aux membres du groupe en dédommagement. Domfer fait faillite en 2008, de sorte que les membres du groupe ne récupèrent que 123 677 $ dans le cadre de transactions avec le syndic de faillite et l’assureur de Domfer, laissant plus de 1,5 millions $ impayés.
En 2011, l’association qui agissait à titre de représentante du groupe dans le premier recours introduit de nouvelles procédures, cette fois-ci contre les deux administrateurs et actionnaires de Domfer avant sa faillite. On leur reproche d’avoir approuvé le versement de dividendes de plus de 14 millions $ en janvier 2003, versement qui aurait précarisé la situation financière de la compagnie et aurait éventuellement causé sa déconfiture. La requérante allègue donc que n’eut été de la faute de ses anciens dirigeants, Domfer n’aurait pas fait faillite et les membres du groupe auraient pu récupérer la totalité de leur créance.
Biens que les anciens administrateurs et actionnaires ne contestent par les faits, ils affirment ne rien avoir à se reprocher. En effet, lorsque les dividendes furent déclarés en janvier 2003, la Cour supérieure venait de rejeter, trois mois plus tôt, le premier recours collectif (c’est ce jugement qui sera renversé par la Cour d’appel et donnera éventuellement lieu à la condamnation de 14 millions $), la compagnie était en bonne santé financière, affichant des profits de presque 1,5 millions $, détenant des capitaux propres d’une valeur de plus de 4 millions et ses bénéfices non répartis à la fin de l’année 2003 se chiffrant à plus de 1,6 millions $. De plus, les administrateurs étaient conseillés par des professionnels, avocats et comptables, chevronnés. Enfin, le paiement de ces dividendes s’inscrivait dans le cadre d’une réorganisation dont le but ultime était de permette à l’un des administrateurs de préparer sa retraite. En d’autres mots, les administrateurs plaident avoir agi de façon prudente et diligente. Ils ajoutent qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre le paiement des dividendes et la perte subie par les membres du groupe, celle-ci résultant plutôt de la faillite de Domfer, qui elle-même résulte de facteurs externes qui n’ont rien à voir avec le paiement des dividendes de janvier 2003.
Malgré ceci, la Cour supérieure autorise le second recours collectif contre les anciens dirigeants de Domfer. La raison en est toute simple: bien que les moyens de défense de ces derniers apparaissent de prime abord valables, ce n’est pas le rôle du juge, au stade de l’autorisation, de trancher les questions de droit et de fait qui opposent les parties. Comme nos tribunaux l’ont dit à maintes reprises, cet exercice relève du juge qui se penchera sur le fond du dossier. Ici, l’association requérante avait rencontré son fardeau pour obtenir l’autorisation du recours. Comme l’écrit la juge:
[51] Rappelons que la faute des intimés doit être démontrée au fond et non au stade de l’autorisation. C’est également au fond que la requérante devra faire la preuve que le versement des dividendes en février 2003 a précarisé la situation financière de Domfer.
[52] De plus, les circonstances économiques qui, selon les intimés, ont causé la faillite de Domfer constituent un moyen de défense qu’ils pourront faire valoir au fond. Soit dit avec égards, le Tribunal ne peut exclure que le versement des dividendes au
montant de 14 178 975 $ en 2003 ait pu jouer un rôle dans la faillite de Domfer et le non-paiement de la réclamation découlant du Premier recours collectif.[53] Le Tribunal est d’avis que les faits allégués ne permettent pas d’écarter d’emblée comme manifestement mal fondé, le recours en dommages-intérêts que la requérante cherche à intenter. En effet, tous les éléments constitutifs de la responsabilité extracontractuelle y sont, la faute, le préjudice et le lien de causalité.
Ce jugement confirme, pour une énième fois, que le stade de l’autorisation d’un recours collectif demeure essentiellement procédural. Si l’avocat du représentant du groupe a bien fait son travail, il passera cette étape, à tout le moins pour ce qui est du critère de l’existence de la réclamation. Nos tribunaux devraient-ils se montrer plus sévères? Peut-être, mais alors à l’égard de toutes les poursuites manifestement non fondées, et pas seulement les recours collectifs.
Ce que l’on doit retenir du cas Domfer: l’administrateur qui prévoit verser un dividende alors que sa compagnie fait l’objet d’un recours collectif devrait s’assurer de bien documenter le tout et de se faire conseiller par des professionnels compétents. Tous les tests de solvabilité devront être rencontrés et le dividende se justifier financièrement et en tant que décision d’affaires. Même si, comme cette cause l’illustre, ces mesures ne permettront pas nécessairement de faire échec au recours au stade de l’autorisation, ils formeront les bases d’une défense solide au mérite, forçant les demandeurs à y penser deux fois avant d’aller de l’avant ou encore les incitant à régler rapidement et à peu de frais.