Bye-Bye Rona? Ou de la pertinence des mesures de rétention des sièges sociaux.
On apprenait hier que l’américaine Lowe’s ne ménage pas les efforts pour acquérir la québécoise Rona, ayant même recours aux services de lobbyistes pour convaincre nos gouvernements que cette acquisition est souhaitable. Rappelons que le détaillant américain a présenté une offre publique d’achat d’action (OPA) non-sollicitée au fleuron québécois en juillet dernier, offre que le conseil d’administration de cette dernière a rapidement qualifiée comme étant contraire aux intérêts de la compagnie et des parties intéressées. S’en est suivi une escalade de déclarations de nos politiciens, la plupart indiquant qu’une telle acquisition serait contraire aux intérêts du Canada et du Québec.
Mais qu’est-ce donc qu’une OPA? L’article 110 de la Loi sur les valeurs mobilières indique qu’une « offre publique d’achat » « est une offre publique d’achat, toute offre d’acquisition de titres, même indirecte, qui est faite par une personne qui n’est pas l’émetteur des titres et qui fait partie d’une catégorie d’offres d’acquisition déterminée par règlement. ». Le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat prévoit quant à lui que, pour les fins de son application, une « offre publique d’achat » est constituée de « toute offre d’acquisition de titres avec droit de vote ou de titres de capitaux propres en circulation d’une catégorie donnée faite à une ou plusieurs personnes qui sont dans le territoire intéressé en fait ou d’après l’adresse inscrite dans les registres de l’émetteur visé, pour autant que les titres visés par l’offre d’acquisition ajoutés aux titres de l’initiateur représentent au total au moins 20% des titres de cette catégorie qui sont en circulation à la date de l’offre l’acquisition, à l’exception d’une offre d’acquisition qui constitue l’une des étapes d’une fusion, d’une réorganisation ou d’un arrangement qui doit être approuvé par le vote des porteurs des titres visés ».
Comment une OPA est-elle lancée? Elle est lancée au moyen de la communication aux actionnaires québécois d’une compagnie ciblée d’une offre d’achat accompagnée de la note d’information prescrite par règlement, de même que son dépôt auprès de l’Autorité des marchés financiers. Au plus tard 15 jours suivant la date de cette offre (voir l’article 2.17 du Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat, l’article 113 de la Loi sur les valeurs mobilières ) prévoit que les administrateurs d’une société qui en est la cible doivent indiquer « s’ils recommandent l’acceptation ou le rejet de l’offre ou s’ils s’abstiennent de formuler une recommandation et, conformément aux conditions et modalités déterminées par règlement, formul[er] la recommandation ou déclar[er] qu’ils n’en formulent pas ». Afin de décider s’ils recommandent ou non aux actionnaires de la société ciblée d’accepter l’offre qui leur est faite, les administrateurs doivent tenir compte, comme dans toutes leurs prises de décisions, de l’intérêt de la société (voir l’article 322 de la Loi sur les sociétés par actions ou l’article 122 (1) (a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions).
Comment les administrateurs doivent-ils déterminer ce qui sert le mieux les intérêts de la société? Et bien, la Cour suprême nous rappelait aux paragraphes 37 à 40 de l’arrêt BCE, que, pour se faire, ils « peuvent examiner notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement». Il s’agit donc d’une possibilité et non pas d’une obligation. La Cour suprême ajoutait que, bien que les intérêts des actionnaires et des parties intéressées concordent souvent avec ceux de la société, ce n’est toutefois par toujours le cas. Dans ces situations le plus haut tribunal au pays indiquait que « l’obligation des administrateurs est claire : elle est envers la société ».
Dans l’état actuel des choses, les administrateurs peuvent donc tenir compte de l’intérêt de la société québécoise en général, de même que de l’intérêt des actionnaires de la société visée, lorsqu’ils émettent une recommandation dans le cadre d’une OPA. Malgré tout, ultimement, c’est l’intérêt de la société qui doit primer et non pas l’un ou l’autre des parties précitées. S’il juge que l’acceptation par les actionnaires de la société d’une OPA est dans l’intérêt d’une société, alors peu importe l’impact que pourrait avoir cette acquisition sur l’économie québécoise, un conseil d’administration ne peut se prononcer en faveur du rejet d’une telle offre. De la même manière, si l’acceptation d’une offre faite dans le cadre d’une OPA n’est pas dans l’intérêt de la société visée le conseil d’administration ne peut alors recommander son acceptation, et ce même si l’acceptation d’une telle offre a le potentiel de maximiser la valeur que les actionnaires peuvent retirer de la vente de leurs actions. Il faut de plus noter que les recommandations émises par le conseil d’administration d’une société visée par une OPA ne sont pas contraignantes pour les actionnaires. En effet, les actionnaires sont libres de disposer de leurs actions comment bon leur semblent. Ils n’ont pas l’obligation de se soucier de l’intérêt de la société ni de celui de la société québécoise dans son ensemble.
Depuis l’annonce par Lowe’s de son intention d’acquérir Rona, cette transaction projetée fait couler beaucoup d’encre. Elle s’est même invitée dans la campagne électorale québécoise où la question de la rétention des sièges sociaux occupe une place importante. En effet, les trois principaux partis en liste proposent des solutions à ce qu’ils qualifient de menace pour le développement économique du Québec. Dans un article du Journal Les Affaires, l’Institut des administrateurs de sociétés, de même que le Cercle des administrateurs de sociétés, émettaient quant à eux l’opinion selon laquelle il revenait non pas à l’État d’intervenir sur cette question, mais bien aux administrateurs de sociétés eux-mêmes de le faire. Or, dans le contexte juridique actuel, ceux-ci ne pourrait le faire sans une intervention législative.
À la lumière de ce qui précède, bien qu’il faille mettre tout en œuvre pour conserver et même attirer le plus grand nombre possible de sièges sociaux au Québec, il est loin d’être certain qu’une nouvelle intervention législative en ce sens soit nécessaire.
En effet, comme on l’a vu plus haut, une modification législative accordant un pouvoir contraignant à la recommandation d’un conseil d’administration d’une société visée par une OPA irait possiblement à l’encontre des intérêts des actionnaires des sociétés par actions. Il en irait de même d’une législation ou d’une directive encourageant l’intervention de la Caisse de dépôt ou de tout autre organisme étatique dans le sauvetage des fleurons québécois au moyen de l’acquisition du contrôle de ceux-ci. En outre, quoiqu’imparfaits, la Loi sur la concurrence et la Loi sur Investissement Canada fournissent déjà des outils pour bloquer certaines acquisitions d’intérêts canadiens par des intérêts étrangers, si telles acquisitions ne sont pas dans l’intérêt du pays ou de la province.
En conclusion, la meilleure façon de retenir nos sièges sociaux au Québec et de contribuer au développement économique du Québec afin d’augmenter le niveau de vie de la population n’est peut-être pas législative. Il peut simplement s’agir de s’assurer que notre belle province demeure compétitive tant au niveau de la productivité et du savoir-faire de sa main-d’œuvre qu’au niveau de sa fiscalité.