La signature du bail commercial est-elle essentielle pour conclure à une entente locative, surtout lorsqu’il n’y a pas eu d’offre de location signée par les parties au préalable?

Voilà une bien longue question, mais il est assez simple d’y répondre. Sans pour autant faire état de tous les faits du jugement 2630-8064 Québec inc. (Placements CDS) c. 3188744 Canada Inc.[1], j’expliquerai rapidement le raisonnement du juge Banford de la Cour supérieure, qui récemment en juillet dernier, a eu à analyser cette situation.

La problématique s’est posée lorsque la demanderesse (ci-après le «locataire») et la défenderesse (ci-après le «bailleur») ne se sont pas entendues sur un projet final de bail commercial, pour l’exploitation par la demanderesse d’une franchise Café A.L. Van Houtte. Bien que les parties n’aient pas convenu de l’ensemble du contrat qui avait été fourni par le bailleur, elles se sont néanmoins entendues sur certains aspects de ce contrat, en paraphant un document de deux pages intitulé « projet de bail ». Paraphé, oui…Signé? Non. Au sein de cette courte entente, à l’article 4.9 plus précisément, les parties prévoyaient que le locataire s’engageait à conclure « un bail signé » dans les trente jours suivant la signature du « projet de bail », et que ce bail serait comme celui qui avait auparavant été signé par un tiers (Van Houtte inc.) (le «Bail Van Houtte ») avec le bailleur :

« 4.9 Le locataire s’engage à conclure un bail signé dans les 30 jours suivant ceci. Le bail sera comme celui déjà accepté par 3188744 Canada inc. et Van Houtte inc. »[2] 

Il n’y a jamais eu de bail final signé entre les parties, et aucune offre de location ou lettre d’entente n’avait été formellement signée au préalable. S’en est suivi une interprétation différente des parties de l’entente entre elle, notamment quant à leurs obligations respectives et la durée de cette entente. Le locataire a néanmoins opéré dans les lieux loués pendant plus d’un an et demi et payé le loyer, qui fut encaissé par le bailleur. Lorsqu’il a réalisé que le commerce n’était pas rentable, le locataire a décidé unilatéralement de mettre fin au bail, en invoquant que l’entente locative était verbale puisque le bail n’était pas signé, donc renouvelable de mois en mois, cela lui permettant de terminer l’entente sur avis de trente jours. De son côté,  le locateur prétend que le bail commercial intervenu entre les parties est un bail à durée fixe de dix ans et que l’entente comportait une clause externe qui imposait aux parties les obligations du Bail Van Houtte.

Bien que le jugement traite de d’autres questions, notamment l’accès aux lieux loués après le déguerpissement ainsi que la propriété des équipements et mobiliers laissés dans les lieux loués, uniquement les questions de la durée de l’entente et du lien contractuel qui unit les parties seront abordés.

La Cour conclut que le lien contractuel entre les parties n’est définitivement pas une entente verbale « au mois le mois ». Pour elle, la locataire voulait clairement louer le local et il est établi que les parties ont discuté et négocié les termes et conditions d’un bail commercial. Bien que le locataire n’ait retourné que deux pages sur trois du « projet de bail » fourni par le bailleur, ce document de deux pages comportait à la fois les initiales de la représentante du locataire et du représentant du bailleur, sur chacune de ces deux pages, puis à côté de mentions manuscrites ajoutées par les parties. Le juge rappelle que la théorie générale des obligations « veut qu’un contrat se forme par le seul échange de consentement entre deux personnes »[3]. De plus, il est pertinent de retranscrire ce passage simple et court qui rappelle les éléments constitutifs d’un bail commercial, qui sont…simples et courts :

« Les règles relatives au contrat de louage, le bail, ne comportent aucune formalité particulière. Ce type de contrat naît donc lorsque deux personnes échangent un consentement sur les éléments constitutifs d’un bail, soit le bien loué, la durée du bail et le montant du loyer. »[4]

Bref, la Cour conclu que la signature du bail ne constituait pas une condition de la réalisation de l’entente des parties. L’auteur Deslauriers rappelle le même constat :

« La promesse unilatérale de bail ne vaut donc pas bail tant qu’elle n’est pas acceptée (art. 1396 C.c.Q.). Mais une fois acceptée, la signature devient une formalité à compléter pour faciliter la preuve du contrat. D’ailleurs, un document intitulé «Projet de bail» peut en soi être un bail s’il est accepté et en contient tous les éléments essentiels. Un avant-contrat de bail commercial dont les engagements ont commencé à être exécutés constitue une convention liant les parties, celles-ci indiquant ainsi que la signature n’est qu’une simple formalité.»[5]

La Cour conclut donc qu’il y avait bel et bien entre les partes un bail commercial d’une durée de dix ans, qui ne pouvait être unilatéralement résilié par la locataire avec un avis de trente jours. De plus, la Cour confirme l’application du bail qui « devait être signé », en l’incorporant à l’entente entre les parties, précisant que les dispositions du Bail Van Houtte sont incorporés par la clause externe 4.9, retranscrite plus haut.

En conclusion, la formalité de signature n’est pas essentielle pour conclure à un contrat de louage commercial entre les parties. Celle-ci ne sert qu’à établir une preuve écrite qu’il y a bien contrat. Aussi, notez qu’il vaut mieux être prudent lorsque par « clause externe », l’on incorpore au contrat un lot de dispositions qui pourront aussi avoir leurs effets entre les parties.  


[1] 2012 QCCS 3281

[2] Id., par [8]

[3] article 1385 CCQ

[4] par [30], loc.cit. note 1

[5] Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, Montréal, Wilson Lafleur ltée, 2005, p. 322.

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