Toute vérité n’est pas bonne à demander
Je vous avais promis il y a deux semaines de revenir sur la question des demandes de précisions pré-autorisation d’un recours collectif pour traiter de la décision récente rendue dans l’affaire Dieudonné c. Apple (2012 QCCS 6248) et il m’importe de tenir parole alors voici. Il y a quelques années, il semblait chose décidée qu’il n’était pas possible de présenter une requête en précisions à l’encontre d’une requête en autorisation d’instituer un recours collectif. En effet, les tribunaux québécois basaient leur raisonnement sur l’interdiction de principe de présenter des moyens préliminaires dans le cadre du processus d’autorisation, sauf en ce qui a trait à la compétence ou la juridiction de la Cour. Comme je vous le souligne très souvent, les règles procédurales pures et dures survivent rarement très longtemps en l’absence d’intervention législative et il semble maintenant que la prohibition à l’égard des requêtes en précisions s’est effritée, du moins si l’on se fie à l’affaire Dieudonné.
Comme vous l’aurez devinez, dans l’affaire Dieudonné, l’Honorable juge Claude Dallaire accueille une requête en précisions au stade de l’autorisation, au grand dam de la plupart des procureurs qui oeuvrent principalement en demande en matière de recours collectif (puisque cela ouvre la porte à plus de moyens préliminaires au stade de l’autorisation et non pas nécessairement parce que ça les dérange de donner des précisions sur les allégations formulées). Il s’agit là d’un développement procédural assez important en matière d’autorisation d’un recours collectif. En faisant cette affirmation, je suis conscient que l’affaire Dieudonné ne marque pas nécessairement une première au sens strict. En effet, il y a eu d’autres décisions sporadiques au même effet au cours des dernières années (par exemple Tremblay c. Lavoie, 2010 QCCS 4752), mais j’ai quand même l’impression qu’il s’agit d’un tournant sur la question.
S’agit-il par ailleurs d’une « bonne » décision en terme de gestion des recours collectifs. Je laisse le soin à d’autres de s’attaquer à cette question simplement parce que, pour être très honnête, je n’ai pas d’opinion forte d’un côté ou de l’autre dela question. Ceci étant dit, d’un point de vue technique, j’ai toujours été d’opinion qu’une prohibition des demandes de précisions au stade pré-autorisation était difficilement justifiable (pour ceux que la question intéresse, je vous recommande très fortement l’excellent article suivant sur le sujet: MARTINEAU, Yves, « Les moyens préliminaires au stade de l’autorisation du recours collectif: la fin justifie les moyens », développements récents sur les recours collectifs, Collection développements récents, volume 213, 2004, p. 52).
Reste que je me questionne fortement sur la question de savoir pourquoi, règle générale, on voudrait demander des précisions au stade pré-autorisation. Je vous disais, il y a deux semaines, que l’on avait rien à perdre à formuler une telle demande post-autorisation (et je n’ai pas changé d’idée), mais le contraire me semble vrai à l’autorisation. Puisque les faits allégués sont tenus pour avérés, pourquoi est-ce que je voudrais donner l’opportunité à la partie requérante de parfaire ses allégations ou de combler une lacune dans la rédaction de sa procédure? Je vous avoue candidement que la réponse m’échappe (comme d’habitude, il n’y a bien sûr pas de règle pure et dure).
Selon moi, ce n’est donc que dans des situations extraordinaires que l’on devrait demander des précisions au stade de l’autorisation. Si la requête en autorisation n’est pas suffisament précise, l’on devrait plutôt y voir là un argument pour contester l’autorisation.