Afficher des photos sur Twitter : cession ou licence?

C’est la question qui se pose à la suite d’une décision rendue le 14 janvier 2013 par un tribunal New-Yorkais (United States district Court-Southern district of New-York  AFP v. Morel, 10 civ. 02730 (AJN) (S.D.N.Y. Jan.14,2013) : qu’advient-il  des droits d’auteur sur les œuvres partagées dans les médias sociaux?  En d’autres mots, peut-on s’approprier,  sans restriction, les photos affichées par les internautes sur les réseaux sociaux? Cette question est importante que ce soit du point de vue des propriétaires des droits d’auteur sur ces photos qui choisissent de les afficher sur Twitter que de celui des utilisateurs potentiels de ces photos qui voudraient les reprendre à leur compte ou les revendre à des tiers.

Le 12 janvier 2010, Monsieur Daniel Morel, journaliste d’origine haïtienne, est sur place à Port-au- Prince lors du terrible tremblement de terre qui fera des milliers de morts. Il prend des photos saisissantes qu’il partage prestement via son compte Twitter. Un résident de la République Dominicaine reprend ces photos, les « re-twitte » à son tour et en revendique la propriété. L’Agence France Presse (l’« AFP ») prend connaissance des photos et les reprend à son compte à son tour, et les cède ensuite à l’agence bien connue, Getty Images, en vertu d’un contrat de licence.

De façon assez surprenante, c’est l’AFP qui a pris l’initiative de prendre des procédures pour obtenir un jugement déclaratoire de non-contrefaçon des droits d’auteur de Monsieur Daniel Morel. Ce dernier a répondu par une demande de type reconventionnelle contre l’AFP, Getty et l’éditeur d’une publication  pour non-respect de ses droits d’auteur.

La Cour de district de New-York a rendu une décision intérimaire, favorable à Monsieur Morel, déclarant qu’il y avait eu contrefaçon de ses droits d’auteur. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a analysé la nature juridique  des termes et conditions dictées par Twitter aux utilisateurs de leur service. Voici un extrait des termes et conditions que nous pouvons lire en accédant à Twitter :

(…) You retain your rights to any Content you submit, post or display on or through the Services. By submitting, posting or displaying Content on or through the Services, you grant us a worldwide, non-exclusive, royalty-free license (with the right to sublicense) to use, copy, reproduce, process, adapt, modify, publish, transmit, display and distribute such Content in any and all media or distribution methods (now known or later developed).

Tip This license is you authorizing us to make your Tweets available to the rest of the world and to let others do the same.

You agree that this license includes the right for Twitter to provide, promote, and improve the Services and to make Content submitted to or through the Services available to other companies, organizations or individuals who partner with Twitter for the syndication, broadcast, distribution or publication of such Content on other media and services, subject to our terms and conditions for such Content use.(…)

Tip Twitter has an evolving set of rules for how ecosystem partners can interact with your Content. These rules exist to enable an open ecosystem with your rights in mind. But what’s yours is yours – you own your Content (and your photos are part of that Content).

La Cour a conclu que l’usager- twitter  conservait tous ses droits d’auteur dans les œuvres affichées sur leur service et que Twitter ne bénéficiait que d’une licence de l’usager lui permettant d’afficher l’œuvre sur son réseau et permettant que celle-ci soit reprise par d’autres usagers. Ainsi logiquement, les tiers et tout particulièrement ceux ayant des visées de nature commerciale , tel les agences de presse, ne pourraient pas invoquer un droit de se prévaloir d’une forme de libération de droits d’auteur qui auraient pris forme dans l’entente de services intervenue entre Twitter et l’usager. Les tiers acquéreurs de licences sur de telles photos (l’agence Getty dans notre cas) ne pourraient donc  pas non plus invoquer la théorie du tiers bénéficiaire d’une cession intervenue en amont dans la chaîne de droits.

Bien évidemment il faut souligner qu’il s’agit d’un jugement préliminaire rendu dans un cadre juridique différent. Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que les principes fondamentaux d’analyse des concepts de cession versus licence et leurs conséquences juridiques très différentes demeurent semblables à priori peu importe la juridiction applicable.

Du point de vue des titulaires de droits d’auteur, il faut insister sur l’importance de prendre connaissance et de bien comprendre les conditions d’utilisation des médias sociaux. De prime abord, toute personne ayant des intérêts commerciaux dans une œuvre susceptible d’une exploitation commerciale devrait être extrêmement prudente avant de publier une œuvre sur un média social vu le risque inhérent d’en perdre le contrôle.

Pour les utilisateurs des œuvres, on ne peut que constater et réitérer l’importance de s’assurer de la solidité de la chaîne de titres de toutes les œuvres utilisées dans leurs productions sous quelque forme que ce soit.

Vu les circonstances particulières entourant ce séisme où, semble-t-il, il n’y avait que très peu d’images disponibles, je crois qu’un média canadien aurait pu invoquer l’exception sur l’utilisation équitable d’une œuvre pour la communication de nouvelles prévue à la Loi sur le droit d’auteur pour justifier une telle utilisation non autorisée des photos. Il n’aurait cependant pas pu revendre les droits d’utilisation de ces photos.

Enfin, il faut souligner que la question de l’évaluation des dommages-intérêts demeure entière et fera l’objet d’une décision au fond par le tribunal qui devra notamment tenir compte de la bonne foi invoquée par l’AFP dans toute cette affaire. À suivre donc!

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