Bail commercial : l’importance de la définition de l’usage autorisé du locataire dans les lieux loués

Dans le cadre d’un bail commercial, la définition de l’usage d’un locataire dans les lieux loués est d’une importance capitale. Elle circonscrit notamment les activités permises. Les diverses définitions négociées sont parfois larges, d’autres fois précises et même très limitatives. Outre les clauses de restriction locative, de non compétition et d’exclusivité, un bailleur de centre commercial voudra parfois scinder l’usage autorisé d’un locataire en usage « principal » et en usages « accessoires », autre manière de mieux réguler les opérations de chaque locataire et de présenter aux clients du centre commercial un plus grand éventail de produits, diversifier les services offerts et mieux surveiller et contrôler les exclusivités octroyées. Par exemple, le bailleur pourra permettre à titre d’usage accessoire des opérations qui pourraient autrement contrevenir à un droit exclusif déjà offert à un autre locataire, en cernant l’opération de ces usages accessoires à l’aide de certains critères.

Dans un jugement récent de la Cour supérieur du Québec, Summum nutrition inc. (EZ Games) c. Riocan Holdings Québec inc. (2013 QCCS 35), la juge Geneviève Marcotte réétudiait ces critères et accueillait la requête introductive d’instance pour jugement déclaratoire et injonction permanente de Summum nutrition inc. (opérant sous « EZ Games »). La cour est venue à la conclusion que l’opération d’une boutique Microplay par 9256-8583 Québec inc. (« 9256 »), un autre locataire du centre, contrevenait à un droit exclusif que le bailleur de ce centre commercial avait déjà donné à EZ Games. Le tribunal ordonna donc au bailleur Riocan Holdings (Québec) inc. (« Riocan ») de prendre les mesures nécessaires afin d’obtenir de 9256, qui entrait directement en compétition avec l’exclusivité d’EZ Games, qu’il ferme ladite boutique Microplay, accueillant ainsi la demande d’EZ Games pour que Riocan exécute en nature ses obligations contractuelles. Reprenons brièvement les faits. La demanderesse EZ Games œuvre dans le domaine de la vente, l’achat et l’échange de jeux vidéo neufs et usagés et signe le 3 août 2011 une entente de location avec Riocan pour l’opération d’un commerce dans le centre commercial Les Galeries Lachine. Riocan rédige l’entente et à la demande d’EZ Games, y insère une clause d’exclusivité, que je reproduis ici en partie:

« 3. Exclusivité :

À la condition que : (a) le Locataire soit Summum Nutrition inc., occupe et exploite son commerce dans la totalité des Locaux; (b) les Locaux soient utilisés pour les fins décrites à l’Article 7 du Bail; et (c) le Locataire ne soit pas et n’ait pas été en défaut de ses obligations en vertu du Bail après l’expiration de la période stipulée pour remédier un tel défaut;

Le Locataire sera le seul locataire du Centre commercial, tel que configuré en date de la signature de l’offre de location le 3 août 2011 (…) et tel que le Centre commercial peut être modifié ou agrandi de temps à autre, autorisé à opérer un commerce pour l’achat, la vente et l’échange de jeux vidéo à titre d’usage principal ou d’activité commerciale principale. Il est entendu que la présente restriction :

(d) n’interdit pas la vente ni la location de marchandises ou la fourniture de services, ni l’opération d’un commerce par d’autres locataires ou occupants du Centre commercial à titre ancillaire ou accessoire ou sur toute autre base de nature non principale;

(e) ne s’applique pas aux baux, offres de location ou ententes de location relatifs au locaux situés dans le Centre commercial, pourvu que lesdits baux, offres de location ou ententes étaient en existence en date de la signature de l’offre de location le 3 août 2011(…); et

(f) ne s’applique pas à des personnes déjà en possession de locaux situés dans le Centre commercial en date de la signature de l’offre de location le 3 août 2011 ».

Un peu plus d’un mois après l’ouverture du commerce d’EZ Games, les représentants du bailleur lui annonce la possibilité qu’un nouveau locataire exploite une boutique Microplay au sein d’un Superclub Vidéotron, en lui assurant que ce nouveau locataire ne ferait pas partie du centre commercial tel que défini au bail d’EZ Games, et qu’il ne contreviendrait donc pas à son exclusivité, bien que Microplay se spécialise dans la vente, l’achat et l’échange de jeux vidéo neuf et usagés. En revérifiant son bail, EZ Games constate que les nouveaux locaux seraient bel et bien inclus dans le centre commercial et revérifie sa clause d’exclusivité qu’il croît la protéger. Riocan conclut le 20 janvier 2012 une entente de location avec 9256 pour un usage retranscrit ici en partie:

« […] Les Locaux seront utilisés uniquement pour un club vidéo principalement pour la location et la vente au détail de produits vidéo neufs et usagés, à l’exclusion de jeux vidéo non conformes aux restrictions ci-après, et, comme usage secondaire à l’usage principal ci-dessus stipulé, la vente au détail de produits de divertissements, de friandises et de télécommunications, le tout, tel que ces produits sont généralement loués et/ou vendus dans la majorité des succursales « Superclub Vidéotron »dans la province de Québec, sujet toute¬fois, à ce qui suit :

Le Locataire reconnaît avoir été avisé que EZ Games bénéficie d’un usage et d’une exclusivité consentie à celle-ci aux termes d’un bail signé par Summum Nutrition inc., (…) et le Bailleur, RioCan Holdings (Québec) inc. en date du 20 octobre 2011, ladite clause étant annexée aux présentes à titre d’Annexe D-1.

En conséquence le Locataire s’engage et s’oblige à : ne pas utiliser les Locaux, à titre d’usage principal ou d’activité com¬merciale principale, aux fins de l’achat, la vente et/ou l’échange de jeux vidéo; ne pas utiliser les Locaux, à titre d’usage secondaire, aux fins de l’achat, la vente et/ou l’échange de jeux vidéo, sur plus de 25 % des Locaux, en pieds carrés, pieds cubes, nombre et importance de l’étalage; et ne pas faire la publicité localement d’un tel usage aux fins de l’achat, la vente et/ou l’échange de jeux vidéo. (…)

Aucun partie des Locaux ne sera utilisée aux fins suivantes : i) la vente de biens ou de services mentionnés à l’Annexe D ci-jointe; ii) une vente ou des activités commerciales qui violeraient toute clause restrictive ou d’exclusivité accordée à un locataire ou occupant du Centre commercial ou qui, selon l’opinion du Bailleur, compromettrait ou autrement nuirait aux activités commerciales d’un autre locataire du Centre commercial; […] » (Nos soulignés)

Dès l’ouverture du commerce de 9256, EZ Games constate que la boutique Microplay est un compétiteur direct, les affaires d’EZ Games en sont affectées et s’en suit la transmission d’une mise en demeure à Riocan pour que cesse la violation à la clause d’exclusivité d’EZ Games. Deux mois après la transmission de la mise en demeure et devant l’inaction de Riocan, EZ Games intente des procédures et en résultera le jugement mentionné ci-haut. au sein de ce jugement, la cour relate la jurisprudence récente en matière de respect des clauses d’exclusivité, notamment les affaires Le Jean Bleu inc. c. Boutique Le Pentagone inc. puis celle d’Indigo Books & Music inc. c. Immeubles Régime XV inc. , où le juge Émery s’interroge sur comment définir ce qu’est une activité principale, critères que je crois bon de rappeler ici:

« a) en fonction de la superficie du magasin consacrée aux livres?;

b) en fonction de la façon dont le commerce s’affiche au public? (prédominence (sic) ou importance des termes « vente de livres » sur une enseigne ou dans la publicité);

c) en fonction du pourcentage du volume de ventes brutes de livres?;

d) pourcentage des profits nets?;

e) l’ensemble de ces facteurs?;

f) doit-on aussi tenir compte des ventes de livres par internet?;

g) quel pourcentage doit-on retenir pour déterminer ce qu’est l’acti¬vité principale ?;

h) le pourcentage d’inventaire de livres se calcule-t-il en rapport avec tous les livres vendus ou simplement les livres franco¬phones? »

Bref, il n’est pas si simple de déterminer ce qu’est une activité principale et il s’agit plus souvent qu’autrement d’une question de faits. La juge Marcotte rappelle d’ailleurs que l’importance des pourcentages qui ont pu être considérés par la jurisprudence pour distinguer une activité principale d’une activité ancillaire varie justement en fonctions des faits . Bien qu’en l’espèce on limite à 25% la superficie pour laquelle 9256 pouvait acheter, vendre ou échanger des jeux vidéo (notamment l’une des limitations qui était présente dans l’affaire Indigo), cela n’empêche pas qu’à la lumière de la preuve, le tribunal conclut que l’opération de la boutique Microplay par 9256 contrevient à l’exclusivité de EZ Games. Il est même particulier de constater que le tribunal semble écarter en partie les critères de superficie, d’inventaire et de chiffres d’affaires :

« Ainsi, même si 9256 ne consacre qu’une partie de l’espace total qu’il occupe ou une faible partie de son chiffre d’affaires en concurrence directe avec le locataire en place, la faible proportion d’espace locatif ou d’inventaire qu’il y consacre est néan¬moins susceptible d’entraîner des conséquences catastrophiques à l’endroit d’EZ Games qui risque l’échec ou l’insolvabilité à court ou moyen terme. »

« L’interprétation de la clause d’exclusivité que suggère Riocan en soulevant la faible proportion d’inventaire, de revenus ou d’espace occupé par Microplay par rapport à l’ensemble du commerce exploité par 9256 est contraire à l’obligation de bonne foi qui lui incombe comme partie à un bail commercial, alors que l’article 1375 C.c.Q. stipule que « la bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction » .

Le tribunal explique entre autre que Microplay est une boutique en soit, au sein des locaux de 9256, et que ce dernier publicise Microplay en contravention aux droits d’EZ Games. Riocan n’aurait donc pas rempli ses obligations de bonne foi en induisant en erreur EZ Games et en permettant à 9256 d’exploiter une boutique Microplay. Selon le tribunal, Riocan n’aurait tout simplement pas respecté l’esprit du bail qu’elle a conclu avec EZ Games et a contourné « sciemment » les obligations qu’elle a contractées en tentant d’utiliser des ratios qui vide de sens la clause d’exclusivité qu’elle a consentie à EZ Games.

Rédacteurs de clause d’exclusivité, de clause d’usage et de clause de restriction de location, souvenons-nous que plusieurs critères s’appliquent lorsque nous devons évaluer les risques pour un bailleur ou un locataire. Limiter la superficie sur laquelle pourra s’exercer un usage ancillaire susceptible de contrevenir à un droit exclusif n’est vraisemblablement pas suffisant dans certaines situations. Gardons en tête que les tribunaux interpréteront ces clauses selon les faits applicables à chacune des situations et que les attentes raisonnables d’un locataire ainsi que la véritable intention des parties va parfois au-delà de ce qui est écrit au contrat. Pour reprendre les propos du juge Émery dans l’affaire Indigo : « Bref s’il est vrai que la jurisprudence, comme la doctrine du reste, affirme parfois que l’on n’a pas à interpréter ce qui est clair, il demeure néanmoins que ce qui est ou paraît clair n’est pas toujours exact et peut donc requérir interprétation. »

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