Concept télé : œuvre protégée par droits d’auteur ?
Un concept télé est-il une oeuvre protégée par droits d’auteur?
Cette question est revenue dans l’actualité à la suite d’un jugement rendu récemment dans l’affaire Pelchat c. Zone 3 inc. 2013 QCCS 78. Il s’agit également d’une question sous-jacente à l’affaire Robinson, qui a été plaidée devant la Cour Suprême le 14 février dernier.
C’est une question fondamentale, que ce soit pour les maisons de productions télévisuelles, cinématographiques ou même pour les diffuseurs qui développent des concepts d’émissions à l’interne. Cette question intéresse aussi les entreprises spécialisées dans le développement et la commercialisation de concepts et de formats d’émissions, telle que la compagnie hollandaise bien connue Endemol. Ces intervenants dans le processus de production de contenu investissent beaucoup de temps, d’énergie et d’argent dans le développement de ces concepts d’émissions en espérant soit les utiliser à l’interne ou sous forme de concept (en anglais, on parle de « formats ») qui peuvent être vendus sous licences à d’autres.
Ainsi, on se souviendra que TVA a diffusé sur ses ondes des émissions telles que « Drôles de vidéos » alors que TQS avait acquis les droits pour produire l’émission « The Price is Right ». Ces concepts impliquent souvent des règles très précises, formant un document souvent appelé « Bible » sur la reproduction du format : par exemple, le concept de l’émission « The Price is Right » prévoit des éléments aussi précis que la forme du micro utilisé par l’animateur.
Le 21 janvier dernier, la Cour Supérieure a rendu jugement sous la plume du juge Daniel Payette dans l’affaire Pelchat c. Zone 3 inc., 2013 QCCS 78, rejetant un recours en dommages-intérêts fondé sur des allégations de plagiat par une maison de production (Zone 3) du concept des émissions « Look 87 », « Look 88 », « Look 89 » et « Look international » (diffusées à TQS) suite à la production et diffusion d’une émission intitulée « Métamorphose ». En substance, Pelchat soutient que les similarités entre les deux émissions sont tellement importantes qu’il ne peut s’agir que de plagiat d’une œuvre télévisuelle.
Dans sa décision, le juge Payette soulève d’abord la question de base suivante, à savoir si « Les Looks constituent une œuvre originale ». Ceci est fondamental pour qu’il puisse y avoir plagiat. Au paragraphe 88, nous pouvons lire que :
En effet, l’originalité requise pour qu’une œuvre puisse profiter de la protection de la Loi ne s’entend pas de son aspect créatif, novateur ou unique. L’élément essentiel à la protection d’une œuvre par le droit d’auteur est qu’elle soit le résultat de l’exercice du talent et du jugement de son auteur.
Ainsi, du point de vue des auteurs de concepts télévisuels, la question est donc de savoir si le concept est assez fort, assez détaillé pour constituer une œuvre sujette à la protection par droits d’auteur ou par une autre forme de propriété intellectuelle. Me Leonard Glickman de chez Cassels Brock pose la question de la façon suivante dans un article publié le 25 mai 2011 :
Whether or not television formats are unprotectable ideas or protectable works under copyright law is an open question.
Pour être protégé, on devra donc aller au-delà des lieux communs, au-delà des concepts généraux « universellement » connus en matière de production audiovisuelle. Tous conviendront qu’il est très difficile de protéger un concept consistant par exemple en un « show de chaise », à moins d’y apporter des éléments originaux qui permettront de le distinguer de tout autre concept basé sur cette recette universelle. Aussi, un concept d’émission basé sur la notion de contre-emploi (par exemple plonger une vedette dans une activité qu’elle ne connait pas ou qui lui fait particulièrement peur) peut difficilement être protégé.
Dans Cummings c. Global Television network Quebec, limited partnership (2005) C.S. 6707, nous retrouvons également une étude intéressante des éléments suffisamment distinctifs dans un concept d’émission pour être susceptible de protection légale. Dans cette décision, la Cour procède à l’analyse des éléments réellement distinctifs d’un concept allant au-delà des éléments très génériques comme la tenue d’un concours auprès de chanteurs amateurs.
Me Glickman attire notamment notre attention sur le concept de l’émission Survivor qui a été reconnu comme œuvre susceptible d’être protégée par droits d’auteur dans une décision d’une Cour hollandaise.
Il semble donc que, de façon générale, les tribunaux soient généralement réfractaires à l’idée d’accorder une réelle protection au titre de droits d’auteur pour un simple concept d’émissions et que, une fois cette première barrière franchie, ceux-ci seront particulièrement exigeants avant de reconnaître des similitudes susceptibles d’être reconnues comme constituant de la contrefaçon.
En conclusion, je ne peux qu’adhérer à la conclusion de Me Glickman à l’effet qu’il est peut-être plus prometteur de protéger un concept en tant que marque de commerce qu’à titre d’œuvre sujette au droit d’auteur : « (…) protecting the brand of the format and being first to market with the brand can be just as important if not more important than protecting and fighting an uncertain battle to enforce copyright in the format ».