L’administrateur De Facto
Il n’est pas ici question de nommer des noms comme à la Commission Charbonneau, donc je ne vous parlerai pas d’un certain Monsieur De Facto, mais bien de l’administrateur de jure et de l’administrateur de facto, dont nous entretenait récemment l’Honorable Pierre J. Dalphond dans l’arrêt unanime de la Cour d’appel Allard c. Myhill 2012 QCCA 2024.
L’arrêt renverse la décision antérieure de la Cour du Québec 2005 CanLII 9257 (QCCQ) rendue par l’Honorable Antonio De Michele.
ll s’agit d’une décision rendue suite à la liquidation de Inter-Canadien (1991) Inc., un transporteur régional affilié à Canadian Airlines. Quatre individus sont poursuivis par des ex-employés pour divers postes de réclamation (salaire, vacances, dépenses et indemnités de départ) en vertu de la responsabilité solidaire des administrateurs édictée par l’article 119 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, loi constitutive de leur employeur.
Trois des défendeurs sont actionnaires de la société mère de Inter-Canadien, qu’ils ont acquis de Canadian Airlines. Le quatrième est leur avocat, M. Watson, qui témoigne leur avoir conseillé de retirer tous les pouvoirs aux administrateurs d’Inter-Canadien par convention unanime de l’actionnaire en vertu de l’article 145.1 LCSA pour écarter la responsabilité personnelle des administrateurs pour les salaires impayés…..
Le 1er mai 1999, tous les administrateurs ont démissionné. Inter cesse ses opérations le 27 novembre 1999, fait un avis d’intention en janvier 2000 et fait faillite le 27 mars 2000.
583 agents de bord, pilotes et machinistes poursuivent les défendeurs.
L’Honorable Dalphond fait plusieurs constats et rappelle le droit applicable.
Premièrement, personne n’est tenu de demeurer administrateur d’une société insolvable et la cour reconnaît leur droit de démissionner. Ce constat est fort utile quand on connaît le refus du registraire des entreprises d’inscrire la démission du dernier administrateur aux registres publics au seul motif qu’il n’a pas été remplacé.
Deuxièmement, la légalité des restrictions aux droits des administrateurs dans la convention unanime d’actionnaires est aussi reconnue. En vertu du paragraphe 146(5) LCSA, l’actionnaire corporatif insolvable assume donc la responsabilité des administrateurs.
Troisièmement, la cour conclut que la responsabilité des administrateurs incombe aux personnes qui exercent en fait le contrôle décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société, et à défaut que ce soit les personnes élues au conseil, ce sera ceux qui agissent comme administrateurs de facto. La responsabilité de l’actionnaire en vertu de la convention n’exclut donc pas la responsabilité des personnes physiques qui agissent dans les faits.
La cour conclut que les trois actionnaires sont administrateurs de facto jusqu’au jour de la faillite, ce qui repousse en plus la prescription de deux ans applicable.
Quatrièmement, pour bénéficier de l’exonération du paragraphe 123(4) LCSA la cour met la barre particulièrement haute : il faut poser des gestes précis pour protéger les intérêts des employés.
Cinquièmement, la responsabilité de la LCSA est limitée au travail effectué, ce qui exclut les indemnités de départ mais comprend la portion différée comme les vacances. La cour accorde aussi les dépenses, les heures supplémentaires, les jours de vacances et de maladie, les fériés, la part de l’employeur du fonds de pension, les déductions non remises d’assurance collective et les déductions non remises d’obligation d’épargne.
M. Watson est exonéré de toute responsabilité même si son conseil s’est avéré un peu à côté de la piste….