La présentation des documents d’appel d’offres: mode historique ou logique?
Dès ma première analyse de documents d’appel d’offres, j’ai été frappé par le caractère peu convivial de cet ensemble documentaire, qui rend sa lecture parfois très difficile. Lorsque j’ai posé des questions à mes interlocuteurs pour obtenir des explications justifiant ce mode de présentation, leur réponse se limitait à ce que cette façon de faire ne leur avait jamais été réellement expliquée…
Étant de nature curieuse, je me suis alors donné le défi de comprendre les motifs qui ont mené à un tel mode de présentation. J’ai constaté que le point de départ de cette documentation fut d’abord un document technique visant à décrire le besoin de l’organisme qui désirait se procurer un bien, retenir les services d’une personne ou faire exécuter des travaux de construction.
Étant donné l’ascendant technique de cette démarche, il allait de soi que des personnes ayant une bonne compréhension de ce besoin et la compétence pour le décrire, à savoir des ingénieurs, architectes et autres experts techniques, soient à l’origine de ces premiers documents. Cette mise en contexte explique d’ailleurs fort bien le fait que l’expression «Devis d’appel d’offres» est employée, dans certains milieux, pour désigner l’ensemble des documents d’appel d’offres. En fait, dans un monde idéal, le mot «Devis» devrait être utilisé uniquement pour identifier un seul des quatre documents de base de cet ensemble, les trois autres étant:
- le contrat A, qui traite des instructions aux soumissionnaires et de la régie du processus d’appel d’offres;
- le formulaire de soumission, qui contient la proposition du soumissionnaire, dont notamment le bordereau de prix;
- le contrat B, qui constitue le marché proposé par l’organisme public ou municipal aux fournisseurs intéressés.
Ces personnes techniques se sont donc appropriées, par défaut, la tâche de mettre en place la première génération de documents d’appel d’offres. Cette dernière a pris la forme d’«Instructions aux soumissionnaires» et de «Clauses générales» expliquant la régie du processus, le mode d’adjudication, etc. De nouvelles couches documentaires sont donc venues s’ajouter au devis technique. De plus, il fallait aussi prévoir l’adaptation des documents aux circonstances particulières de chaque appel d’offres. Un autre document, dénommé «conditions particulières» a donc vu le jour pour informer les éventuels soumissionnaires de celles-ci.
Cette brève explication historique nous permet de comprendre pourquoi les documents ont adopté un tel mode de présentation. Cela dit, il ne faut pas en rester là, car bien qu’il soit fonctionnel, le mode de présentation historique que nous connaissons aujourd’hui n’est pas optimal. En effet, l’évolution législative des dernières années a fait en sorte que le poids de la composante juridique des appels d’offres s’accroît sans cesse. Il devient donc de plus en plus difficile de maintenir un mode de présentation historique qui risque de perpétuer une certaine confusion entre la composante technique et la composante juridique.
Autrement dit, nous croyons que le moment est venu de passer à un mode de présentation qui nous permet de voir séparément dans leur intégralité chacun des documents de base d’un appel d’offres. Il faut surtout nous assurer de bien séparer la composante juridique, qui se déploie sur trois documents, de la composante technique qui n’en requiert qu’un seul.
Ce changement que nous préconisons nous rappelle un peu l’évolution de notre système de poids et mesures qui était autrefois d’inspiration anglaise. Il existe certainement une raison historique pour expliquer pourquoi il y a 12 pouces dans un pied, trois pieds dans une verge et 1760 verges dans un mille. Ce système n’a cependant rien de logique, d’où son abandon en faveur du système métrique, d’origine française, qui a introduit le mètre comme unité de base à partir de laquelle il est possible de calculer facilement le millimètre, le centimètre et le décimètre en utilisant le chiffre dix comme multiplicateur.
Dans cette quête de logique, rappelons-nous que les documents d’appel d’offres se répartissent sur quatre documents de base qui ont des vocations bien précises. L’architecture idéale devrait donc nous permettre de reproduire dans leur intégralité ces quatre documents de base. Autrement dit, nous croyons le moment venu d’abandonner les documents intitulés «Instructions aux soumissionnaires», «Conditions générales» et «Conditions particulières» à la faveur d’un quatuor de documents, à savoir:
- un premier intitulé «Régie» qui englobe tout le contrat A;
- un second dénommé «Formulaire de soumission» qui devrait consolider tout ce que le soumissionnaire doit fournir en un seul document;
- un troisième désigné «Contrat» qui englobe toutes les clauses contractuelles du contrat B (marché proposé); et
- un quatrième appelé «Devis» qui ne contient que la description du livrable.
Ce mode de présentation ne sauvera pas beaucoup de pages, car le volume des documents ne change pas. Or, il peut sauver des heures de lecture et diminuer considérablement les erreurs et omissions qu’engendrent le mode de présentation historique dans l’univers des appels d’offres. À vous de juger!