Appel d’offres dirigé: facile à dire mais difficile à prouver
Dans une décision récente, la Cour supérieure du Québec a été appelée à se prononcer sur une allégation d’appel d’offres dirigé dont l’objectif présumé était de favoriser un fournisseur au détriment de ses concurrents en imposant des exigences susceptibles de l’avantager. Cette décision nous apprend à quel point il est difficile pour un soumissionnaire frustré de soutenir la thèse de l’appel d’offres dirigé devant les tribunaux…
Dans cette affaire, qui opposait la ville de Longueuil à la compagnie Roxboro Excavation inc. («Roxboro»), l’arrondissement de Saint-Hubert a, au nom de la ville de Longueuil, lancé un appel d’offres pour le déneigement et l’épandage d’abrasifs. L’objectif visé par cet appel d’offres était de confier la gestion complète des travaux de déneigement et d’épandage d’abrasifs à un seul entrepreneur qui devait coordonner l’ensemble des travaux.
Les document d’appel d’offres prévoyaient certaines exigences se rapportant au type et à la quantité d’équipement minimum requis pour répondre au besoin de l’arrondissement. En cours de processus, le territoire de l’arrondissement de Greenfield Park s’ajoute, augmentant ainsi la valeur de l’appel d’offres.
Trois soumissionnaires y répondent. Deux d’entre eux sont éliminés au motif que leur soumission est non conforme. Roxboro est l’un des soumissionnaires éliminés. Le soumissionnaire sélectionné est Environnement Routier NRJ inc («NRJ»). Ce dernier, outre le fait qu’il était le plus bas soumissionnaire, avait eu le contrat de déneigement pour Saint-Hubert de 1997 à 2004.
Roxboro poursuit la ville et réclame la somme de 6 941 755$, soit les profits qu’elle aurait pu réaliser, en plus de demander au tribunal de déclarer nulles les résolutions de la ville qui accordent les contrats à NRJ.
Après avoir entendu les parties, le tribunal en vient à la conclusion que la preuve soumise par Roxboro n’a pas réussi à le convaincre qu’il s’agissait d’un appel d’offres dirigé. L’honorable juge Jean-François Michaud écrit à ce propos que «Roxboro doit établir que les faits sont suffisamment graves, précis et concordants ce qui signifient qu’ils permettent de tirer une inférence compatible avec sa thèse», tel que l’exige l’article 2849 C.c.Q. Outre cette exigence, le tribunal ajoute que le fardeau de la preuve qui incombe à Roxboro se trouve alourdi par le fait qu’il faut présumer la bonne foi selon l’article 2805 C.c.Q.. La somme de ces deux éléments met donc la barre très haute.
Ainsi, après avoir entendu les explications de la ville quant à la justification des exigences imposées, celles-ci apparaissaient suffisamment logiques pour que le tribunal puisse entretenir un doute suffisamment important quant au bien-fondé de la thèse de l’appel d’offres dirigé. Or, ce simple doute suffit pour rejeter la demande de Roxboro.
Cette décision nous indique donc qu’il faut une preuve accablante pour qu’un tribunal accepte la thèse d’un appel d’offres dirigé et annule tout contrat qui en résulte en se basant sur un tel motif.