L’exécution du contrat : attention aux écrits et aux modifications

Dans l’affaire Panzini Conseil inc. et Société en commandite Foyer St-Laurent, 2014 QCCS 1146, le Tribunal avait à décider de la portée d’un contrat de services professionnels, ainsi que de la responsabilité du professionnel pour certains retards vécus en cours de projet.

Les faits

Au début des années 2000, Émile Ghattas (« Ghattas ») souhaite faire bâtir une résidence pour personnes âgées. Au printemps 2001, il pense avoir trouvé un terrain à Ville Saint-Laurent. Pour s’assurer du potentiel du terrain, on le réfère à Michel-Ange Panzini (« Panzini »), architecte. Panzini confirme que le terrain a le potentiel voulu. Éventuellement, Ghattas remporte les enchères pour l’achat du terrain. Société en commandite Foyer St-Laurent (« Foyer St-Laurent »), société créée par Ghattas, deviendra officiellement propriétaire du terrain à la fin octobre 2002.

Parallèlement, Ghattas demande à Panzini d’être l’architecte de son projet et lui demande de préparer une offre de services. Panzini fait parvenir une offre de services au nom de sa société d’architecte, Panzini Conseil inc. (« Panzini Conseil »). Ni l’offre de services, ni le contrat qui interviendra entre les parties ne contiennent d’échéancier. Il s’agit d’un contrat à forfait.

Panzini fait face à des embuches. Entre autres, Foyer St-Laurent n’a pas encore terminé ses programmes[1]. Panzini réalise des esquisses préliminaires pour la mi-février 2003, mais des changements doivent constamment être apportés.

Le fils de Ghattas s’implique dans le projet et demande à Panzini de lui fournir un échéancier de paiement. Panzini lui transmet un échéancier dont les paiements sont échelonnés en fonction de l’avancement des travaux. Cet échéancier prévoit l’obtention du permis de construction pour février 2004 et le début des travaux d’excavation pour l’hiver 2004. Lors du procès, Foyer St-Laurent prétendra qu’il n’y avait pas eu d’entente sur un tel échéancier.

En mai 2003, le Comité consultatif d’urbanisme de l’arrondissement Saint-Laurent doit se prononcer sur le projet. Des négociations avec l’arrondissement et les résidents sont nécessaires devant le mécontentement des citoyens. Foyer St-Laurent est informée à la fin août 2003 que l’arrondissement a donné son feu vert au projet.

En septembre 2003, Ghattas souhaite accélérer le processus et demande à Panzini d’effectuer les plans et directives en fonction de l’avancement des travaux. Panzini doit suivre la cadence imposée par l’entrepreneur général. Le Tribunal retient que cette méthode complique le travail des professionnels et augmente le risque d’erreurs. Panzini termine ses plans peu après la mi-novembre 2003.

Panzini Conseil modifie sa facturation pour refléter l’état d’avancement des travaux, mais Ghattas ne veut pas payer. Jusqu’à ce moment, Panzini Conseil avait reçu tous les paiements exigés. La relation entre les parties s’envenime et à la fin mai 2004, Panzini Conseil informe Foyer St-Laurent qu’elle met fin au contrat.

Les prétentions des parties

Panzini Conseil poursuit Foyer St-Laurent pour le solde impayé totalisant 63 069,10$. Foyer St-Laurent conteste la réclamation alléguant que certains services durant la période des soumissions (valant la somme de 40 833,88$) n’ont jamais été rendus.

Foyer St-Laurent se porte demanderesse reconventionnelle. Elle réclame de Panzini Conseil 2 691 060 $ pour les dommages causés par le retard pris durant le projet. Elle réclame aussi 151 571,35$ pour des dépenses additionnelles encourues pour corriger des erreurs de conception.

La décision du Tribunal

Le Tribunal considère mal fondées les prétentions de Foyer St-Laurent concernant les services requis non rendus. D’une part, il n’y a aucune preuve que lesdits services étaient requis de Panzini Conseil. D’autre part, le Tribunal retient que c’est Foyer St-Laurent qui a décidé d’agir seule dans ses démarches entourant les soumissions. À tout évènement, comme le contrat intervenu entre les parties est un contrat à forfait, les sommes sont dues même si le travail s’avère moindre.

Quant à la demande reconventionnelle pour les dommages causés par les retards, le Tribunal conclut que Panzini Conseil n’a aucune responsabilité notamment en ce que :

  • l’échéancier de paiement présenté par Panzini Conseil a été respecté;
  • Foyer St-Laurent est responsable d’évènements ayant retardé le projet;
  • Panzini Conseil n’est pas responsable des délais causés par l’approbation tardive du projet par le CCU;
  • Foyer St-Laurent n’a jamais fait part, par écrit, à Panzini Conseil des retards qu’elle allègue être sa responsabilité; le Tribunal tire une inférence négative de l’absence d’écrit au sujet des retards.

Au passage, le Tribunal note que Foyer St-Laurent a imposé un nouvel échéancier à Panzini qui a accepté de s’y conformer, au-delà de ses obligations légales.

Quant à la réclamation pour erreurs de conception, le Tribunal la rejette entièrement.

Le Tribunal constate donc l’existence des sommes dues à Panzini Conseil par Foyer St-Laurent et ordonne le délaissement de l’immeuble au projet de Panzini Conseil.

Observations

Cette décision mérite d’être soulignée pour trois raisons.

En premier lieu, elle rappelle aux clients et donneurs d’ouvrages l’importance de documenter leurs dossiers quant aux éléments pouvant donner lieu à des litiges. L’inférence négative que tire le Tribunal de l’absence d’écrit au dossier quant aux retards allégués par Foyer St-Laurent doit servir d’avertissement.

Ensuite, cette décision réitère le principe voulant que des sommes dues en vertu d’un contrat à forfait sont dues même si le travail ayant dû être effectué par le client s’avère moindre[2]. Dans ce cas précis, le jugement vient préciser que le client qui s’arroge l’exécution de l’une des obligations du prestataire de services ou de l’entrepreneur ne pourra, par la suite, prétendre à une diminution du prix.

Finalement, la décision précise que l’imposition d’un nouvel échéancier par le client constitue une modification du contrat. La doctrine établit qu’une telle modification engendre la responsabilité du client pour les coûts générés par celle-ci[3].

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