Après Heenan Blaikie: le changement de la garde

Un mois et demi après la débâcle du cabinet Heenan Blaikie, l’industrie juridique semble déjà bien remise du choc. Il est vrai que l’impact a été en partie amorti par une période électorale fort bruyante au Québec, mais tout de même, ce n’est pas tous les jours qu’un secteur si fragmenté de notre économie perd un joueur de cette envergure.Un tel naufrage laisse toujours derrière lui une panoplie de questions qui demeureront sans réponse. Quel a été le réel élément déclencheur? Aurait-on pu sauver les meubles si les associés vedettes étaient restés dans le bateau un peu plus longtemps? Plusieurs post-mortem pointant du doigt différentes causes ont d’ailleurs été publiés dans les journaux du Canada anglais, en plus de tous les articles nous apprenant le lieu d’atterrissage des principaux protagonistes.Chose assez surprenante: peu d’avocats ont fait le saut vers les contentieux. Une migration importante vers les entreprises aurait eu comme effet probable de rééquilibrer légèrement les forces d’offre et de demande dans un marché qui semble manquer un peu d’oxygène, mais ça ne s’est pas produit. La capacité de production des grands cabinets est donc demeurée sensiblement la même avant et après la chute puisque la vaste majorité des anciens de chez Heenan se retrouvent aujourd’hui à nouveau en cabinet.Cette constatation nous laisse croire que, tel que rapporté, le problème économique était accessoire au problème de culture qui minait le cabinet national. En effet, si les différents groupes de pratique chez Heenan n’avaient pas été rentables, ils n’auraient pas été repêchés systématiquement par d’autres joueurs d’envergure.Force est donc d’admettre que cette chute ne semble pas annoncer un cataclysme comme le craignent certains. Or, l’absence d’une hécatombe imminente ne réduit en rien les forces menaçant l’industrie et accélérant l’érosion des services traditionnels, incluant notamment les nouvelles technologies et les services de sous-traitance qui s’organisent de mieux en mieux. Signe des temps changeants, le Barreau du Québec se penche maintenant sur la question avec beaucoup de sérieux. En effet, l’ordre professionnel a récemment créé un poste de futurologue des services juridiques, occupé par Me Alexandre Désy, qui a d’ailleurs donné une bonne entrevue au Journal du Barreau ce mois-ci.Le Barreau du Québec n’est cependant pas seul à garder un oeil sur la situation. Plusieurs médias locaux, nationaux et internationaux ont fait état des changements dans l’industrie récemment. On n’a pas encore vu d’associé directeur à Tout le monde en parle, mais ça ne saurait tarder.

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Les forces du marché obligent les avocats soit à s’adapter aux changements rapides, ce qui est une nouvelle réalité pour eux, ou à se faire dépasser. Un obstacle de taille se dresse cependant dans leur chemin: à moyen terme, les motivations des jeunes associés ne sont pas alignées avec celles des baby boomers qui retardent leur retraite, mettant ainsi un frein à l’innovation.En effet, il est difficile pour les associés de 62 ans de privilégier l’investissement sur cinq à dix ans. Une citation tirée du rapport sur la consultation – Projet de l’ABC Avenirs en droit va même beaucoup plus loin en avançant ceci: «Laissons l’ancienne génération finir d’exercer de la façon qu’ils connaissent. Construisons le paradigme avec des avocats de moins de 36 ans». L’écart générationnel serait donc si important que certains vont même jusqu’à suggérer qu’il est irréconciliable.Ce rapport s’étend un peu plus sur le rôle des associés plus expérimentés en expliquant que, bien que ceux-ci s’intéressent à l’innovation, ils ne savent pas vraiment comment la mettre en oeuvre à l’échelle de leur cabinet. Il s’agit d’un problème de taille, mais qui afflige tout type d’entreprise depuis des décennies, ce qui a permis de développer des meilleures pratiques en la matière. Encore faut-il avoir l’ADN d’un cabinet capable de mener à bien ces innovations, ce qui est beaucoup moins évident…Mais bien plus que le changement pour le changement, on doit chercher à développer un avantage compétitif durable, ce qui peut prendre des années à établir et ne plaira pas aux plus impatients du groupe. Dans certains cas, il faudra même faire l’acquisition d’entreprises innovatrices, parfois à fort prix. Une chose demeure cependant certaine: si les cabinets établis n’innovent pas assez, ceux composés de jeunes de moins de 36 ans le feront à leur place.

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