Action en garantie pour vices cachés: nouveaux principes applicables en matière de dénonciation du vice

L’article 1739 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») prévoit que l’« l’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur[1] dans un délai raisonnable depuis sa découverte ».

Dans un arrêt rendu le 21 mars 2014, Claude Joyal Inc. c. CNH Canada Ltd., 2014 QCCA 588 (« Joyal »), la Cour d’appel fournit d’importantes précisions quant à la validité de la dénonciation en matière de vices cachés et énonce également de nouveaux critères relativement à la possibilité pour un vendeur d’obtenir le rejet de l’action pour vices cachés dans le cas de la destruction du bien.

MISE EN CONTEXTE 

Dans cette affaire, la Société Claude Joyal Inc. (le « Vendeur ») vend une moissonneuse-batteuse neuve fabriquée par CNH Industrial (le « Fabricant »).

Quelques années plus tard, la moissonneuse-batteuse prend feu. La carcasse qui en résulte est démantelée.

L’assureur de l’acquéreur (l’« Acquéreur ») intente une action contre le Vendeur au motif que l’équipement vendu comportait un vice caché.

Le Vendeur appelle alors en garantie le Fabricant. Ce dernier présente une requête en irrecevabilité en invoquant les deux motifs suivants :

  • L’Acquéreur ne lui a aucunement dénoncé le vice; et
  • En raison de la destruction du bien avant l’institution de l’appel en garantie, il lui est impossible de faire valoir une défense pleine et entière.

Le juge de première instance accueille ces moyens d’irrecevabilité et rejette l’appel en garantie. 

COUR D’APPEL

Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel infirme la décision de la Cour supérieure, et ce, essentiellement pour les motifs suivants:

  • En raison du principe de la solidarité, la dénonciation par l’Acquéreur au Vendeur vaut également à l’égard du Fabricant.

  • Même si l’on suppose que la dénonciation est tardive, le rejet du recours était prématuré car il revient au juge du fond d’apprécier si la destruction du bien cause au Fabricant un « préjudice réel » justifiant le rejet de l’appel en garantie.

À RETENIR

Cet arrêt mérite d’être souligné puisqu’il fournit d’importantes précisions quant à la validité d’une dénonciation en matière de vices cachés et énonce de nouveaux critères quant à la possibilité d’obtenir le rejet de l’action dans le cas de la destruction du bien. Il convient de les analyser succinctement.

Délai

Sauf si le vendeur connaissait ou ne pouvait ignorer le vice, la dénonciation doit être donnée dans un délai raisonnable de la connaissance du vice allégué. Sauf si des circonstances exceptionnelles le justifient, elle doit toujours être donnée avant toute réparation. Cette dénonciation peut se faire par voie de demande en justice.

La Cour souligne qu’étant donné que tout fabricant est présumé connaître le vice (article 1729 C.c.Q.), l’acheteur peut lui dénoncer le vice tardivement.

Solidarité 

En raison de la solidarité entre les différents vendeurs au sens de l’article 1730 C.c.Q., la dénonciation à l’un par l’acheteur vaut à l’égard de tous les autres, tout comme c’est d’ailleurs le cas pour la mise en demeure extra-judiciaire.

Ainsi, le vendeur professionnel poursuivi pour vice de qualité pourra appeler en garantie le fabricant même s’il ne lui a pas, au préalable, dénoncé le vice allégué par l’acheteur.

Rejet du recours en cas de destruction du bien 

Le vendeur peut tenter d’obtenir le rejet de l’action le visant lorsque le bien a été détruit par l’acheteur ou un tiers sans même qu’il n’ait eu la réelle opportunité de l’examiner.

La Cour précise toutefois que ce n’est que si le vendeur réussit à démontrer que l’acheteur a été négligent ou encore que la destruction du bien a eu pour effet de lui causer un « réel préjudice » que l’action le visant pourra être déclarée irrecevable.

Cette question ne pourra être débattue que dans le cadre de l’audition au fond de l’action pour vices cachés.

De manière générale, le vendeur devra démontrer que la destruction du bien a eu pour effet de le priver d’un moyen de défense qui aurait pu être déterminant quant au sort de l’action de l’acheteur.

Étant donné que la mauvaise utilisation du bien est la seule façon pour un fabricant de repousser la présomption de vice résultant de la défaillance prématurée d’un produit (1729 C.c.Q.), il aura le fardeau de démontrer que la destruction du bien a pour effet d’entraîner « une impossibilité de démontrer une mauvaise utilisation » du bien.

La Cour profite également de l’occasion afin de souligner que les principes applicables diffèrent lorsque le bien est réparé sans même que le vendeur n’ait eu la réelle opportunité de l’examiner et, le cas échéant, de le réparer. Dans un tel cas, seule la partie de la réclamation visant à obtenir le remboursement des coûts de réparation peut être déclarée irrecevable. Par ailleurs, contrairement au cas où le bien est détruit, cette question pourra être débattue tant au stade préliminaire que lors l’audition au fond de l’action pour vices cachés.  


[1] En vertu de l’article 1730 C.c.Q., la notion de « vendeur » prévue à cet article englobe notamment le distributeur, le fabricant, le grossiste et l’importateur.

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