Jugement récent – La rédaction d’une clause d’exclusivité vraiment efficace est toujours une opération délicate!
Le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 2 juillet dernier dans l’affaire 403-9971 Canada inc. c. Place Lasalle Property Corporation et Les Entreprises Énergie Cardio inc. (que vous pouvez lire en cliquant ici) illustre une nouvelle fois, de manière fort éloquente, à quel point la rédaction et la négociation d’une clause d’exclusivité efficace peut être une opération délicate.
Cette affaire a ceci de particulier qu’elle oppose un franchisé d’un réseau de franchises (« Curves ») à son bailleur et au franchiseur d’un autre réseau de franchises (« Énergie Cardio »).
Dans son jugement (rendu en anglais seulement), la Cour supérieure du Québec a rejeté une requête en injonction interlocutoire provisoire présentée par le franchisé « Curves » contre son bailleur et le franchiseur du réseau « Énergie Cardio » visant à empêcher l’ouverture, dans le centre commercial où le franchisé « Curves » exploitait sa franchise, d’un centre d’entraînement physique « Éconofitness », un concept du réseau Énergie Cardio.
Cette demande d’injonction était fondée sur une contravention alléguée par le franchisé « Curves » d’une clause de son bail commercial qui se lisait ainsi : « the landlord shall not lease or permit any other space in the Shopping Centre to be operated or used principally or in part as a ladies fitness centre » et sur une autre clause du même bail qui prévoyait que le : « landlord shall have the right to lease or permit the occupation of a men’s fitness centre in the Shopping Centre without contravening the “Curves” Exclusivity » ».
Selon le franchisé « Curves », la lecture conjointe de ces deux clauses faisait en sorte que le bailleur ne pouvait louer un autre local du centre commercial à une entreprise exploitant un centre de mise en forme admettant des femmes.
Or, le concept « Éconofitness » du réseau Énergie Cardio, pour lequel le bailleur avait loué un autre local de son centre commercial, exploite des centres d’entraînement physique sans artifices et avec services limités qui admettent autant des femmes que des hommes, d’où le recours du franchisé « Curves » qui jugeait que, notamment en raison de ses frais d’admission beaucoup moins élevés, l’ouverture d’un centre « Éconofitness » dans le même centre commercial entraînerait une baisse importante de ses revenus, voire sa déconfiture complète.
Malheureusement, par son jugement du 2 juillet dernier, la Cour supérieure n’a pas retenu l’interprétation faite de ces clauses par le franchisé « Curves » et en est plutôt venu à la conclusion que l’interprétation correcte de celles-ci était plutôt à l’effet que l’exclusivité dont bénéficiait le franchisé « Curves » ne visait que les centres de mise en forme visant principalement les femmes, et non ceux qui admettaient, sans distinction ni préférence, autant les femmes que les hommes.
Pour en arriver à cette interprétation le tribunal a notamment tenu compte (a) du principe suivant lequel les clauses d’exclusivité, qui restreignent la liberté de commerce, doivent être interprétées de façon stricte et limitée, et (b) du fait que, dans un bail antérieur pour les mêmes locaux, la clause d’exclusivité du franchisé « Curves » comprenait aussi les mots « or any fitness centre, which admits women », lesquels ne se trouvaient plus dans le bail du franchisé « Curves » maintenant en vigueur.
La requête en injonction provisoire présentée par le franchisé « Curves » a donc été rejetée.
Comme je le mentionne ci-haut, ce jugement illustre fort bien l’ampleur du défi qui se pose à tout rédacteur ou négociateur d’une clause d’exclusivité (que ce soit dans un bail, un contrat de franchise ou toute autre entente).
La rédaction d’une telle clause nécessite en effet que l’on porte une grande attention aux diverses situations possibles et que l’on s’assure de bien y inclure, de façon claire et complète, toutes les activités que l’on désire voir prohibées.
Ce commentaire s’applique tout autant à la rédaction de toutes les autres clauses ayant pour effet de restreindre, de quelque manière que ce soit, la liberté de travail, de commerce ou d’entreprise (tel, évidemment, les clauses de non-concurrence).
Malheureusement, ce n’est souvent qu’au moment où une situation indésirable (et souvent dommageable) se produit que la personne ou l’entreprise qui croit bénéficier de la protection d’une telle clause en réalisera les lacunes et les déficiences.
Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.comou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.
Jean