Quand un jeune avocat est-il de trop?
La semaine dernière, un article sur Droit-Inc. nous apprenait que le président de l’AJBM, Me Paul-Matthieu Grondin, était déterminé à répondre à la question suivante: Y a-t-il trop de jeunes avocats?
Il semblerait que cette question se pose depuis déjà longtemps, si l’on se fie à cet article datant de 1999 sur le site du Barreau du Québec… Or, elle demeure encore sans réponse définitive puisque l’information nécessaire à l’analyse est fragmentée et qu’il est plutôt difficile d’en tirer des conclusions, même une fois colligée.
Avouons cependant que le questionnement arrive à point, considérant le réalignement de plusieurs vecteurs dans le marché juridique. En effet, de nos jours, les clients trouvent des alternatives pour faire le travail traditionnellement réservé aux jeunes, ce qui réduit grandement le nombre d’opportunités pour ces derniers.
L’AJBM entame donc une réflexion sur le sujet pour ses membres et futurs membres. Or, peu importe les conclusions auxquelles arriveront nos consoeurs et confrères de l’AJBM, il faut éviter de faire preuve d’absolutisme dans le traitement de ces dernières.
En effet, dès qu’on parle de surpopulation juridique sur les médias sociaux ou blogues, on pointe rapidement le doigt vers les facultés de droit ou l’École du Barreau qui acceptent beaucoup d’étudiants. Considérant que ces organisations ne font qu’augmenter l’offre tant que la demande est au rendez-vous, il me semble que cette conclusion manque de profondeur. De plus, je m’explique mal pourquoi les facultés de droit auraient comme rôle de contingenter l’accès à une profession où 90% des finissants vont travailler dans le secteur privé, contrairement à la médecine.
Qui plus est, la demande pour les places dans nos facultés semble plus forte que jamais. La cote R minimale pour être admis à l’Université de Montréal est en augmentation constante et a même dépassé 31 cette année, tandis que celle pour le programme coop à Sherbrooke était de 32,8.
Nous sommes donc loin de la situation aux États-Unis, où le National Law Journal faisait état récemment d’une baisse de demandes de 37% dans les facultés de droit américaines depuis 2010. Vous avez bien lu: 37%. La situation est si mauvaise que certaines écoles seront probablement obligées de fermer leurs portes.
Aux États-Unis, donc, le contingentement se fera naturellement par une réduction de l’offre des facultés. On ne doit cependant pas compter sur cet équilibre au Québec, puisque les subventions accordées à nos universités viennent adoucir considérablement l’impact des forces du marché. Cependant, un baccalauréat en droit est tout aussi utile (sinon plus) qu’un autre baccalauréat, contrairement aux États-Unis où le diplôme nécessite un investissement de trois ans supplémentaires en plus de sommes faramineuses. Les finissants en droit peuvent donc assez facilement faire autre chose que se diriger au Barreau puisque leur niveau d’engagement (lire endettement) envers la profession est beaucoup moins grand.
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Une fois l’information amassée, donc, l’AJBM la traitera et formulera ses recommandations, que j’ai bien hâte de lire.
Un exercice qui pourrait s’avérer révélateur pour l’AJBM serait d’effectuer une segmentation du marché afin de déterminer quels facteurs ou quels gestes sont susceptibles de réduire la population juridique, s’il y a lieu. C’est un vieux concept de marketing qui a fait ses preuves et qui pourrait s’avérer utile dans cette situation. Voici cinq segments hypothétiques qui pourraient ressortir du lot:
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- les étoiles filantes;
- les indépendants;
- les passionnés;
- les 40 heures;
- les «j’ai mon titre d’avocat mais je ne pratiquerai plus après 5 ans».
Les étoiles filantes veulent brûler les étapes et travailler 80 heures/semaine pendant 10 ans dans l’espoir d’atterrir à 35 ans dans un poste de prestige. Les indépendants veulent construire leur nid (cabinet ou entreprise), qu’il soit petit ou grand. Les passionnés adorent le droit et veulent travailler sur des problématiques intéressantes, peu importe où. Pour les 40 heures, le droit est un boulot comme un autre et c’est un moyen de payer les factures. Le titre de la cinquième catégorie est assez explicatif.
Selon vous, lesquels de ces avocats sont en trop? Voilà où se trouve le problème: il est plutôt difficile de répondre à cette question avec objectivité.
Nous attendrons donc avec anticipation les résultats de leur analyse. Certains l’espèrent depuis 1999, donc on peut bien encore patienter quelques mois…