Les outils et mécanismes de prévention et de règlement des différends au sein d’un réseau (Partie 3 de 3)

Pour compléter mes deux billets précédents (que vous pouvez respectivement relire en cliquantici etici) consacrés à divers outils de prévention et de règlement de différends au sein d’un réseau de franchises (dont, parmi quelques autres, l’ombudsman et la médiation), j’aborderai maintenant, dans ce dernier billet de cette trilogie, l’arbitrage et le comité de sages comme moyens de prévention et de règlement des différends en franchisage.

5.    Un programme d’arbitrage

Pour les cas où tous les mécanismes de communication, de négociation, de conciliation et de médiation ont échoué, les parties à un différend n’ont plus d’autre choix que de s’en remettre à une décision finale prise par une tierce personne (un tribunal, un arbitre ou un tribunal arbitral).

Un peu à la manière de la grève et du lock-out en matière de relations de travail qui ne devraient être utilisés qu’en tout dernier ressort (puisque, quel qu’en soit l’issue, toutes les parties subiront des pertes), le recours à la décision d’un tiers pour mettre fin à un différend entre un franchiseur et un franchisé (ou, encore pis, plusieurs franchisés) ou entre franchisés devrait être considéré comme un moyen ultime auquel l’on ne devrait recourir qu’après avoir épuisé tous nos autres moyens et toutes nos ressources pour trouver une meilleure avenue de règlement. 

Quelles que soient ses habiletés professionnelles, un tiers ne peut, en aucun cas, connaître aussi bien le réseau de franchises que le franchiseur et ses franchisés. Sa décision est donc toujours susceptible de susciter des problèmes additionnels au sein du réseau, d’avoir des conséquences contraires à l’intérêt du réseau ou de générer un effet d’entraînement. 

J’en prends pour exemple un conflit franchiseur-franchisé portant sur l’interprétation d’une clause de non-concurrence stipulée au contrat de franchise (la jurisprudence des dernières années en contient d’ailleurs plusieurs). 

Si un juge en vient à conclure que la clause dépasse, sur le plan de sa portée, de sa durée ou de son territoire, ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes du franchiseur, il n’aura d’autre choix que de l’annuler complètement (puisqu’il n’a pas le pouvoir de réécrire le contrat). 

Cela mettra évidemment fin au conflit immédiat entre le franchiseur et le franchisé, mais aura aussi un impact sérieux sur tout le réseau de franchises puisque ce jugement signifiera que les clauses de non-concurrence de tous les autres contrats de franchise du réseau (du moins ceux stipulant une clause identique à celle ayant fait l’objet de ce jugement) sont fort susceptibles de subir le même sort, laissant le franchiseur dans un grand état de vulnérabilité face à des franchisés délinquants et à des ex-franchisés. 

Sur un autre plan, un tribunal ou un arbitre ne peut trancher que sur le différend qui lui est soumis (c’est-à-dire tenter de remédier à une situation passée), que ce soit par une condamnation à payer des sommes dues, des pénalités ou des dommages, par des ordonnances de faire ou de ne pas faire certaines choses ou en annulant ou résiliant certains contrats. 

Ceci peut convenir dans beaucoup de cas, mais, dans le contexte d’une relation franchiseur-franchisé ou d’une relation entre franchisés, cela risque de ne pas vraiment résoudre les problèmes de fond. 

Prenons le cas d’un franchisé qui poursuit son franchiseur en résiliation de la convention de franchise et en dommages. 

Si, après de longs mois d’attente et un très coûteux procès, le tribunal décide de rejeter sa poursuite, que se produit-il alors? 

Nous nous trouvons toujours avec un franchisé pour le moins très malheureux au sein du réseau qui, au terme de ce procès, sera pour le moins peu enclin à collaborer avec le franchiseur ou à participer à la croissance du réseau de franchises.

Certes, de telles situations, qui se produisent régulièrement, finissent éventuellement par trouver une issue, mais souvent par un règlement conclu subséquemment au jugement. 

L’on en revient donc alors, au terme de tout ce processus, à devoir encore négocier un règlement. 

Enfin, un tribunal ou un arbitre n’a pas accès à toute une panoplie de solutions possibles auxquelles l’on peut en arriver lors d’une négociation ou d’une médiation. 

Ainsi, dans une négociation ou une médiation, les parties peuvent décider de modifier leurs ententes, d’en terminer certaines, d’en conclure de nouvelles, de mettre en place un processus ordonné de vente de l’entreprise franchisée, de convenir de certaines compensations portant sur des aspects de leurs relations autres que ceux faisant l’objet du différend (par exemple d’un support publicitaire spécial pour le cas d’un franchisé dont les ventes ont été affectées par une faute du franchiseur) ou, encore, de faire intervenir au règlement des personnes qui ne sont pas impliquées directement dans le litige (par exemple un bailleur dont le loyer est trop élevé). 

Il s’agit là d’autant de possibilités auquel un arbitre ou un juge n’a pas accès puisqu’il doit décider en fonction des contrats en vigueur et des circonstances qui ont amené les parties devant lui. 

Ceci dit, si les parties à une mésentente au sein d’un réseau de franchises doivent absolument s’en remettre à la décision d’une tierce personne, le franchiseur devra se poser la question de savoir s’il ne serait pas préférable que ce soit un arbitre plutôt qu’un tribunal. 

Si le franchiseur choisit l’arbitrage comme mode ultime de règlement des différends au sein de son réseau, il devra alors stipuler une clause à cet effet dans sa convention (puisque, en matière contractuelle, l’arbitrage doit découler d’un contrat). 

La décision d’inclure une clause d’arbitrage dans un contrat, de même que le contenu de la clause, est complexe et doit tenir compte de très nombreux facteurs. 

L’arbitrage n’est pas une panacée et elle ne convient pas à tous les franchiseurs ni, même au sein d’un réseau de franchises, à tous les litiges. Il faut donc entre autres bien identifier les litiges qui s’y prêtent et ceux qui ne s’y prêtent pas. 

La décision d’inclure, ou de ne pas inclure, une clause d’arbitrage dans un contrat se doit donc d’être bien mûrie avec l’aide de professionnels qualifiés en cette matière. 

Ayant eu à agir à plusieurs reprises comme arbitre en matière commerciale, je peux témoigner du fait qu’une minorité seulement des clauses d’arbitrage avec lesquelles j’ai eu à travailler répondait vraiment aux besoins des parties. Souvent, il a fallu, au début d’un arbitrage, amener les parties et leurs procureurs à modifier ou à compléter substantiellement la clause d’arbitrage stipulée au contrat afin que l’arbitrage puisse procéder correctement. 

Il ne s’agit donc pas là d’un sujet à prendre à la légère ou à laisser entre les mains de personnes qui n’en ont pas une connaissance et une expérience adéquates. 

Il existe, en cette matière, de nombreuses possibilités intéressantes pour un franchiseur qui choisit d’adopter ce mode de règlement de différends. 

En voici une illustration: 

Un grand franchiseur international œuvrant dans le domaine du courtage immobilier a constaté qu’il y avait, au sein de son réseau, un bon nombre de différends entre franchisés ou entre courtiers immobiliers exerçant au sein des agences immobilières franchisées du réseau, notamment quant à des partages de commission, des violations alléguées d’exclusivités territoriales, de la concurrence dite déloyale ou de la sollicitation de courtiers immobiliers ou de clients. 

Il a donc décidé de mettre en place, au sein même de son réseau, un processus complet d’arbitrage dans lequel les arbitres étaient d’autres franchisés non impliqués dans le différend. Il s’agissait en fait de franchisés œuvrant dans d’autres marchés que celui des belligérants et qui bénéficiaient d’une grande, et excellente, réputation au sein des franchisés du réseau. 

Encore plus, en raison de l’étendue du territoire desservi par le réseau, ce processus prévoyait un échange de documents par des moyens technologiques et des auditions par voie de conférences téléphoniques. 

Ce processus, même s’il est quelque peu complexe, permet généralement aux parties d’obtenir une décision finale à l’intérieur d’un délai de 60 jours. En outre, comme il s’agit d’un processus interne au réseau, les différends qui y sont soumis et les décisions des arbitres demeurent confidentiels et ne sont pas accessibles au public (ni aux médias). 

Selon la taille d’un réseau de franchises ainsi que selon la nature, l’importance et la probabilité de différends au sein du réseau, un franchiseur devrait s’attarder, avant que ne surviennent de tels différends, à mettre en place les mécanismes qui permettront aux belligérants d’en arriver le plus rapidement possible à une solution qui tienne compte avant tout de l’intérêt du réseau dans son ensemble et qui ne suscite pas plus de problèmes qu’elle n’en règle. 

6.    Un comité de sages 

Bien qu’il s’agisse là d’un outil dont le rôle n’est généralement pas limité au règlement de différends, je ne peux terminer cette trilogie sans quelques mots sur les comités de sages. 

À ma connaissance, il n’y en a encore que très peu au sein de réseaux de franchises. On les retrouve surtout dans des associations, de grands organismes et dans des entreprises familiales. 

Dans un réseau de franchises géré en mode de partenariat stratégique, il me semble cependant s’agir là d’un mécanisme qui offre des possibilités fort intéressantes, notamment pour aplanir certaines difficultés et divergences au sein du réseau. 

Le rôle premier d’un comité de sages est de donner aux principaux dirigeants l’avis de personnes dites « sages » qui n’ont pas d’intérêt direct dans la situation qui leur est présentée et qui peuvent donc y jeter un œil « externe » en fonction de leur grande expérience ou compétence. 

Dans le contexte d’un réseau de franchises, un tel comité des sages pourrait très bien être composé d’anciens dirigeants du franchiseur et d’anciens franchisés maintenant à la retraite. Avec l’avancement en âge des baby-boomers, il devrait y en avoir de plus en plus. 

Ils sont choisis en raison de leur grande expérience (de vie et d’affaire), de leurs habiletés et d’une certaine sagesse. Ce sont avant tout des personnes qui (a) connaissent bien le réseau de franchises et peuvent donc reconnaître où se situe son meilleur intérêt, (b) ne sont pas impliqués activement dans le réseau et (c) n’ont aucun intérêt dans les résultats de leurs recommandations. 

Si un franchiseur décide de recourir au soutien d’un tel comité comme outil de règlement de différends, il serait alors intéressant que la nomination de ses membres fasse l’objet d’un consensus au sein du réseau. Les franchisés devront surtout reconnaître que les personnes nommées à ce comité ne dépendent pas du franchiseur et n’ont aucun intérêt à favoriser le franchiseur, ou un autre membre du réseau, dans leurs recommandations. 

Le franchiseur pourrait soumettre à ce comité les différends qui surgissent au sein du réseau et qu’il ne semble pas réussir à régler lui-même afin d’obtenir de sa part des recommandations quant à des avenues de règlement raisonnables et allant dans le sens du meilleur intérêt du réseau. 

L’expérience et le désintéressement des membres de ce comité leur permettent de jeter un regard différent et, parfois, de voir la forêt plutôt que seulement les arbres. Ils sont ainsi en mesure d’un éclairage plus large et d’envisager les conséquences à plus long terme sur le réseau du différend et des diverses possibilités de règlement. 

Si les membres de ce comité ont aussi (notamment en raison de leur réputation au sein du réseau) un certain ascendant sur les parties à un différend, ils peuvent aussi, dans certains cas, agir en conciliateurs afin de faciliter l’atteinte d’un règlement raisonnable. 

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Quels que soient les mécanismes retenus au sein d’un réseau de franchisés, il devront à tout le moins, afin d’être vraiment utiles et de pouvoir atteindre leurs objectifs, (a) rencontrer de hauts critères de professionnalisme et d’équité procédurale reconnus et acceptés par tous les intervenants, (b) être adéquatement et clairement documentés, (c) être faciles d’utilisation (« user friendly »), (d) être bien connus des franchisés et, évidemment, (e) permettre un règlement ou un dénouement rapide, efficace et équitable des différends en tenant compte de l’intérêt global du réseau de franchises tout autant que de celui des participants au différend. 

Dans la plupart des cas, il est aussi opportun de mettre à contribution, de diverses façons, des franchisés dans ces mécanismes de règlement de différends. Pour un franchisé impliqué dans un problème avec son franchiseur ou avec un autre franchisé, l’impact de la pression de ses pairs est très souvent plus grand (et moins sujet à confrontation) que celui de la pression du franchiseur. 

Par ailleurs, le franchiseur devra aussi faire attention à son attitude lorsque survient un différend. 

Plusieurs recherches en matière de litiges dans le domaine des affaires ont démontré que le fait, pour un participant ou un intervenant, de continuer à agir en conformité avec les normes relationnelles prévalant entre les protagonistes (lire au sein du réseau) lorsque survient un différend réduisait de beaucoup le niveau d’hostilité pendant et, aussi, après le litige. 

Traduit dans le domaine de la gestion des différends au sein d’un réseau de franchises, cela signifie qu’un franchiseur peut réduire grandement l’impact négatif d’un différend, voire d’un litige, avec un franchisé ou entre franchisés s’il s’assure d’agir et, ce qui est tout aussi important, d’être perçu, autant par les participants au différend que par les autres membres de son réseau, comme agissant : 

    • Dans le respect des valeurs véhiculées par le réseau; 
    • Dans l’intérêt de l’ensemble du réseau et dans un souci de préserver l’intégrité du réseau; 
    • Avec intégrité; 
    • De façon équitable. 

Surtout en matière de différends et de litiges, la perception des protagonistes (le ou les franchisés impliqués) et des spectateurs (principalement les autres franchisés) de l’attitude du franchiseur est ici d’une très grande importance, non pas seulement sur le règlement du litige lui-même (quoiqu’elle joue aussi un rôle important à cette fin), mais surtout sur l’impact et les conséquences que ce différend peut avoir sur l’ensemble du réseau et sur les autres franchisés. 

L’on a maintes fois vu des différends plutôt anodins au départ dégénérer en conflits majeurs au sein de réseaux en raison, notamment, du fait que plusieurs et, parfois même la totalité, des franchisés qui n’étaient pas initialement impliqués dans le différend en sont venus à la conclusion que le franchiseur agissait de façon déraisonnable, inéquitable ou abusive envers l’un des leurs. 

Comme partenaire stratégique de ses franchisés, un franchiseur doit, le plus tôt possible, leur faire savoir ouvertement quelles sont ses valeurs et, par la suite, agir en toutes circonstances de façon intègre avec celles-ci et dans l’intérêt de l’ensemble du réseau. La constance et un souci d’équité seront aussi des facteurs importants pour prévenir qu’un différend ne dégénère ou n’ait un trop grand impact sur l’ensemble du réseau. Ceci implique aussi que le franchiseur doive également faire connaître aux franchisés le plus clairement possible son processus de décision en matière de différends et de litiges ainsi que les motifs de ces décisions et de ses actions lorsqu’elles affectent, ou sont susceptibles d’affecter, plusieurs d’entre eux. 

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire. 

Jean

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