Deux jugements récents en matière de droit de premier refus

Au cours des dernières semaines, autant la Cour d’appel du Québec que la Cour supérieure du Québec se sont tour à tour prononcées sur la portée d’un droit de premier refus stipulé dans une convention d’affiliation ou de bannière. 

En premier lieu, dans un jugement qu’elle a rendu le 23 septembre dernier dans l’affaire Cloutier c. Familiprix inc. (que vous pouvez aussi lire en cliquant ici), la Cour d’appel du Québec a maintenu en partie un jugement de la Cour supérieure du Québec qui avait condamné un pharmacien actionnaire de Familiprix inc. (et affilié à celle-ci) à verser à Familiprix inc. une pénalité de 500 000$ pour avoir contrevenu au droit de premier refus de Familiprix inc. 

En second lieu, dans un jugement rendu le 14 novembre dernier dans l’affaire Rona inc. c. Cadieux & Associés(que vous pouvez lire en cliquant ici), la Cour supérieure du Québec a émis, en faveur de Rona inc., une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire ordonnant à plusieurs défenderesses (dont un affilié Rona) de ne pas vendre l’entreprise affiliée Rona en raison de manquements allégués par Rona inc. à son droit de premier refus par la façon dont cette vente a été structurée. 

Malgré que chacune de ces affaires soulève plusieurs autres aspects qui débordent le cadre du présent billet et comporte plusieurs différences entre elles, elles ont toutes deux en commun la structure de la vente faite ou projetée par l’affilié. 

En effet, dans ces deux affaires, l’entreprise affiliée était exploitée dans un immeuble appartenant à des personnes distinctes de l’entité liée au contrat d’affiliation, mais qui, dans les faits, lui étaient intimement liées. Les propriétaires de l’immeuble n’étaient donc pas directement liés par la clause conférant, respectivement à Familiprix inc. et à Rona inc., un droit de premier refus en cas de vente de l’entreprise affiliée. 

Dans ce contexte, dans chacune de ces affaires, les personnes propriétaires de l’immeuble ont, dans un premier temps, vendu leur immeuble à un concurrent de l’entreprise bénéficiaire du droit de premier refus (respectivement Familiprix inc. et Rona inc.), laquelle a alors, à son tour, consenti à l’entité exploitant l’entreprise affiliée un bail à court terme (d’un an non renouvelable dans l’affaire Familiprix et se terminant le 31 décembre 2014 dans l’affaire Rona) pour l’exploitation de l’entreprise affiliée dans cet emplacement. 

De façon distincte, l’entreprise affiliée (et liée au droit de premier refus) a accepté une offre d’achat de ce même concurrent pour la vente de son entreprise affiliée, offre qu’elle a alors transmise au bénéficiaire du droit de premier refus. 

Après quelques démarches, le bénéficiaire du droit de premier refus a appris la structure de ces transactions et réalisé que, s’il exerçait son droit de premier refus à l’égard de la vente projetée de l’entreprise affiliée, il se retrouverait, à court terme, à devoir cesser d’exploiter l’entreprise affiliée dans son emplacement actuel alors que, de toute évidence, son concurrent commencerait, dès la fin du bail à court terme, à y exploiter lui-même une entreprise similaire. Selon Familiprix inc. et Rona inc., ceci avait, à toutes fins pratiques, pour effet de rendre illusoire son droit de premier refus. 

Sans entrer dans les détails de chacune de ces affaires ni dans les quelques autres questions juridiques qui y sont abordées (je vous invite d’ailleurs à lire les jugements pour en savoir plus), malgré le fait que, dans chacun de ces cas, les personnes qui étaient propriétaires de l’immeuble n’étaient pas directement liées à la clause de premier refus, les tribunaux ont tranché (provisoirement dans l’affaire Rona) en faveur du bénéficiaire du droit de premier refus. 

Dans l’affaire Cloutier c. Familiprix inc., dans laquelle la convention stipulait une clause pénale au montant de 500 000$ en cas de contravention au droit de premier refus, la Cour d’appel a maintenu le jugement de la Cour supérieure condamnant l’affilié au paiement de cette pénalité. Par contre, la Cour d’appel a renversé la partie de la décision de la Cour supérieure qui avait aussi condamné la société propriétaire de l’immeuble à payer le montant de cette pénalité pour le motif que, selon la Cour d’appel, la pénalité elle-même ne liait que les parties au contrat, et non une tierce personne non partie au contrat, laquelle ne pouvait être tenue, le cas échéant, qu’au montant des dommages réellement causés par sa faute. 

Dans l’affaire Rona inc. c. Cadieux & Associés, la Cour supérieure a émis une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire ordonnant à l’affilié de ne pas vendre son entreprise affiliée tout en soulignant cependant que, même si les conclusions recherchées par Rona inc. dans son recours principal (soit l’annulation de la vente de l’immeuble qui avait déjà été faite ou, subsidiairement, une ordonnance au nouveau propriétaire de l’immeuble de consentir à Rona inc. un bail pour toute la durée de la convention d’affiliation) pourraient être difficiles à obtenir, Rona inc. avait « un droit tout au moins possible à faire valoir contre les défendeurs », droit qui serait anéanti par la vente de l’entreprise affiliée. 

La Cour supérieure a donc conclu que, dans les circonstances, Rona inc. rencontrait les critères exigés pour l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire, soit (a) une apparence de droit possible, (b) un préjudice sérieux et irréparable si l’ordonnance n’était pas émise, (c) la balance des inconvénients favorisant l’émission de l’ordonnance d’injonction, et (d) l’urgence. 

Évidemment cette dernière affaire n’en est qu’à ses tout débuts et, à moins de règlement entre les parties, devra faire l’objet d’autres jugements. 

Nous pouvons cependant retenir de ces deux jugements (a) que les tribunaux n’hésitent pas à aller au-delà du texte de contrats pour sanctionner un geste contrevenant à l’objectif de l’entente et à l’intention véritable des parties au contrat, et (b) en prenant certaines précautions au moment de la signature d’un droit de premier refus (entre autres, en s’assurant de bien lier au contrat toutes les personnes qui devraient être assujetties à ce droit), il est possible, pour le bénéficiaire d’un tel droit, de prévenir beaucoup de tracas et de coûts lorsque viendra le temps de l’exercer. Je vous réfère d’ailleurs à mon billet du 27 mars 2013 traitant de quelques précautions et clauses pouvant rendre plus solide et efficace un droit de premier refus stipulé dans un contrat de franchise, de bannière ou d’affiliation (que vous pouvez relire en cliquant ici). 

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire. 

Jean

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