Jugement récent : Les risques de ne pas signer la convention de franchise avant l’ouverture de l’entreprise franchisée!

Je me fais toujours un devoir de sensibiliser mes clients franchiseurs à l’importance de bien signer la convention de franchise et tous les autres contrats pertinents à la franchise avant l’ouverture de l’entreprise franchisée.

En effet, une fois l’entreprise franchisée ouverte, il devient facile d’oublier qu’un contrat n’a pas encore été signé et, encore plus, le franchisé a alors beaucoup moins d’intérêt à signer un contrat qui lui impose plusieurs contraintes.

Ceci sans compter le risque qu’un problème de négociation ne surgisse au moment de signer le contrat. Que faire alors si l’entreprise franchisée est déjà ouverte au public sans que la convention de franchise n’ait été signée?

Le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 23 février dernier dans l’affaire Boucherie St-Jean de Lachute inc. c. M&M Meat Shop ltd. (Les Aliments M&M) (que vous pouvez lire en cliquant ici) illustre bien l’une des conséquences pratiques du fait pour un franchiseur de permettre qu’une entreprise franchisée soit ouverte sans que le contrat de franchise n’ait été préalablement signé.

Dans cette affaire, un franchisé, Boucherie St-Jean de Lachute inc., a exploité pendant près de deux ans (de décembre 2010 à septembre 2012) une franchise d’Aliments M&M sans que le contrat de franchise pertinent n’ait été signé.

Après avoir rempli, à titre personnel, le formulaire de renseignements du franchiseur, M. Pierre St-Jean, le principal dirigeant du franchisé, a par la suite toujours refusé de signer la convention de franchise à titre personnel et insisté que cette convention ne soit signée que par sa société, Boucherie St-Jean de Lachute inc.

D’autre part, à travers tout le Canada, le franchiseur, Les Aliments M&M, fait toujours signer sa convention de franchise à titre personnel par les personnes physiques qu’elle approuve comme franchisés et leur permet ensuite, en vertu d’une entente de cession, de céder leurs droits à la société qui exploite la franchise (évidemment sans relever les signataires initiaux de leurs obligations personnelles vis-à-vis le franchiseur).

Sur un autre plan, toutes les factures du franchiseur liées à l’ouverture de cette franchise (dont celles pour les achats d’équipement et les frais de transfert) ont été adressées à la société du franchisé.

Au chapitre de la convention de franchise, un premier projet (dans lequel le franchisé n’était pas identifié) a été transmis au franchisé en août 2010 et un second projet (dans lequel le franchisé était identifié comme le dirigeant principal du franchisé ainsi que sa société opérante étaient tous deux identifiés comme étant le franchisé) lui a été transmis en novembre 2010 (soit quelques jours seulement avant la date d’ouverture de l’entreprise franchisée).

Dès réception de ce dernier projet (celui de novembre 2010), le franchisé et son dirigeant ont avisé le franchiseur qu’ils voulaient que la convention de franchise n’intervienne qu’entre le franchiseur et la société du franchisé (et non avec aussi le principal dirigeant de la société franchisée).

S’en suivit, de décembre 2010 à septembre 2012, divers échanges où chacun du franchiseur et du franchisé se sont retranchés derrière leurs positions respectives, le franchiseur insistant sur le fait que sa politique unique pour tous ses 500 franchisés à travers tout le Canada consistait à faire signer la convention de franchise par les franchisés en leur nom personnel, suivi d’une cession à leurs sociétés, et le franchisé maintenant sa position à l’effet que la convention de franchise ne soit signée que par sa société et non en son nom personnel.

Ne pouvant trouver une solution à cette impasse, le franchiseur a décidé, par un avis du 12 septembre 2012, de mettre son franchisé en demeure de cesser d’exploiter sa franchise pour le motif que la convention de franchise n’avait toujours pas été signée.

Le franchisé obtempéra alors à cette demande pour ensuite engager une poursuite au montant de 290 460,95$ (représentant le coût des travaux et achats effectués en vue d’opérer le magasin franchisé) contre les Aliments M&M pour « résiliation unilatérale et intempestive de la convention de franchise ».

De la preuve soumise devant lui, notamment des factures initialement adressées par le franchiseur à la société du franchisé (alors que le franchiseur savait déjà que le principal dirigeant de cette société refusait de s’engager personnellement) pour les achats d’équipement, les frais de transfert et les frais de formation, le tribunal a conclu que le franchisé « pouvait raisonnablement croire que M&M accepterait de ne pas lier Pierre St-Jean personnellement ».

Quant à l’argument soulevé par le franchiseur à l’effet que M. St-Jean avait rempli et signé personnellement le formulaire de renseignements du franchiseur, le tribunal a noté que ce formulaire (rédigé par le franchiseur) stipulait, dès le début, une mention à l’effet que « Ce formulaire n’engage aucunement les deux parties ».

En conséquence, le tribunal a conclu que les Aliments M&M « ne pouvait pas unilatéralement mettre fin à l’entente intervenue entre les parties et sa décision unilatérale d’interrompre la livraison des marchandises et retirer la bannière M&M était abusive, fautive et génératrice de responsabilité » et a donc accueilli la poursuite du franchisé.

Au chapitre des dommages, après avoir déduit certains paiements faits par le bailleur du local et une dépréciation de 25% pour la durée d’exploitation de la franchise, le tribunal a condamné le franchiseur à payer à son ex-franchisé une somme de 88 658,42$ plus intérêts et dépens.

Aliments M&M dispose maintenant d’un délai de 30 jours de ce jugement pour décider de le porter en appel.

Et tout ceci aurait pu être évité en s’assurant que la convention de franchise soit signée avant l’ouverture de l’établissement franchisé…

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Jean

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