Retenue contractuelle pour travaux impayés: une stipulation pour autrui valide pour les sous-traitants?

Récemment, la Cour d’appel devait examiner la validité d’une stipulation pour autrui contenue dans des documents d’appel d’offres. Plus précisément, la disposition en question prévoyait que le donneur d’ordre devait retenir, des sommes dues à l’entrepreneur, les sommes nécessaires pour le paiement des travaux impayés effectués par des sous-traitants.

Dans cette affaire, l’entrepreneur a été retenu par le MTQ pour un contrat impliquant la réfection de ponts. Les documents d’appel d’offres requièrent deux cautionnements. Ces cautionnements sont fournis par l’appelante, La Compagnie d’Assurances Jevco («Jevco») et représentent 50% de la valeur totale du contrat.

En plus d’accuser un retard de plusieurs semaines, l’entrepreneur fait défaut de payer les sous-traitants pour les travaux effectués sur le chantier. Ces derniers en avisent le MTQ, mais celui-ci effectue plusieurs paiements à l’entrepreneur pour l’exécution des travaux, et ce, sans prélever la retenue prévue au contrat pour travaux impayés. Insatisfait de la qualité des travaux, le MTQ résilie le contrat en question.

N’ayant reçu aucune contrepartie pour leurs travaux, les sous-traitants intentent une action contre l’entrepreneur. Or, comme celui-ci a fait faillite, Jevco se voit condamnée au paiement des sommes dues aux sous-traitants. Pour cette raison, elle intente un recours en garantie contre la Procureure générale du Québec représentant le MTQ afin de recouvrer les sommes versées aux sous-traitants.

En première instance, la Cour rejette le recours de Jevco en énonçant que, comme les sous-traitants n’ont aucun droit sur les retenues effectuées par le MTQ faute de disposition prévoyant un recours direct, Jevco ne peut voir sa demande accueillie. En appel, Jevco est d’avis que la faute du MTQ réside dans son omission d’effectuer les retenues contractuelles, lui occasionnant par le fait même des dommages. Elle invoque également que la disposition prévoyant les retenues contractuelles constitue une «stipulation pour autrui au bénéfice des sous-traitants, aux droits desquels elle est également subrogée en raison des montants qu’elle leur a versés».

Après analyse, la Cour d’appel infirme le jugement de première instance. Elle précise d’abord que l’application de la clause relative aux retenues ne peut être laissée à la seule discrétion du donneur d’ordre. Selon elle, il est «nécessaire qu’un véritable engagement du maître d’oeuvre à l’égard de tiers ai été pris».

La Cour écrit ce qui suit quant aux obligations du MTQ envers les sous-traitants:

[53] À mon avis, à la lumière des articles 8.5 et 8.6 précités, le MTQ, à titre de promettant, s’est obligé à payer les sous-traitants qui avaient dûment dénoncé leur créance impayée. Cette obligation existe à l’égard de la Caution, subrogée dans leurs droits après les avoir indemnisés.

[…]

Il s’agit donc de déterminer s’il y a lieu de sanctionner le défaut du MTQ d’appliquer les retenues auxquelles il s’était obligé à hauteur des montants que la Caution a dû verser aux sous-traitants qui avaient valablement dénoncé leurs créances et qui auraient bénéficié de la stipulation pour autrui, n’eût été du manquement contractuel du MTQ.

[55] À mon avis, dans la mesure où ces sous-traitants bénéficient d’un recours direct contre le MTQ en raison de la stipulation pour autrui prévue au contrat, la Caution, légalement subrogée dans leurs droits, peut exercer son recours subrogatoire en toute légitimité contre le MTQ pour lui réclamer les montants qu’elle n’aurait pas eu à verser aux sous-traitants, si les retenues prévues au Contrat avaient été appliquées au moment des paiements.

La Cour condamne ainsi la Procureure générale à verser 85 000$ à l’appelante.

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