Votre réponse viendra de l’Ouest

Avec un titre semblable, vous allez penser avoir lu le contenu d’un « fortune cookie ». Ou encore que nous allons profiter des vacances estivales pour épiloguer sur les graves lacunes de l’attaque à cinq de nos Glorieux, lacunes qui ne pourraient maintenant être comblées que par des transactions opportunes avec des équipes de l’Ouest, en raison des choix douteux de Marc Bergevin lors des récents repêchages amateur de la LNH.

Mais non, le Merveilleux Monde de l’Insolvabilité™ n’a pas le temps de niaiser et il sera ici question de la réponse prochaine à une controverse juridique qui fait rage dans ledit Monde.

Lors de la dernière conférence-midi de la saison de la Section Faillite et Insolvabilité de l’Association du Barreau Canadien (Québec), le débat a éclaté au grand jour quand Mes Alain Robichaud et Matthew Maloley ont exposé successivement la décision de l’Honorable Gaétan Dumas dans Boréal — Informations stratégiques inc. (Avis d’intention de), 2014 QCCS 5595 (CanLII) et celle de l’Honorable Alain Bolduc dans Groupe Arsenault inc. (Avis d’intention de), 2015 QCCS 898 (CanLII), décisions en apparence opposées.

La question est de déterminer si, lors de la nomination d’un séquestre en vertu de l’article 243 de la LFI (a.k.a. le séquestre national), il faut imposer au créancier garanti requérant l’obligation de s’être conformé préalablement aux dispositions impératives du Code civil du Québec relativement à la signification et l’inscription du préavis d’exercice du recours hypothécaire. Pour le premier juge, c’est nécessaire en général, pour le second juge, ce ne l’est pas. Aucune de ces décisions n’est en appel, de sorte que la réponse semblait vouloir se faire attendre.

Plusieurs praticiens prônaient la facilité au motif que la LFI est un code fédéral complet en matière de nomination d’un séquestre aux biens d’un insolvable. Le droit provincial ne devrait pas interférer avec les objectifs de la loi fédérale. D’autres croyaient que le fédéralisme coopératif pouvait s’accommoder du respect de deux régimes, à moins de circonstances justifiant de passer outre au droit provincial.

Mais voilà, ni vu ni connu, c’est de la belle Saskatchewan, si chère aux Trois Accords que nous viendra la réponse de la Cour suprême du Canada. Notre Code civil sera-t-il amputé sans même la présence du Procureur général du Québec?

Les faits sont comme suit. Un agriculteur (on est en Saskatchewan, ne feignez pas la surprise) emprunte 10 Million de dollars pour financer une fiducie pour sa retraite (OK, là vous pouvez être surpris). Il grève les actifs de deux compagnies qu’il possède pour garantir le prêt. Quelques années plus tard, il vend une des compagnies (FistonCo) à ses fils et conserve une compagnie (PapaCO) qui devra rembourser la totalité de la dette et, si nécessaire, indemniser FistonCo car celle-ci  n’est pas libérée de ses obligations envers le prêteur. FistonCo obtient aussi des sûretés sur les actifs de PapaCo pour se protéger en cas de défaut de PapaCO. Il arrive ce qui devait arriver, PapaCo devient en défaut. FistonCo demande alors au tribunal de nommer un séquestre national sur les actifs de PapaCo grevés par ses garanties, dont une terre agricole. PapaCo conteste et invoque toutes les protections et mesures préalables requises par les lois provinciales sur la protection des agriculteurs, mesures que FistonCo n’a pas respectées, dont un délai de préavis de 150 jours.

La Cour d’appel de la Saskatchewan dans Lemare Lake Logging Ltd v 3L Cattle Company Ltd, 2014 SKCA 35 (CanLII), refuse de nommer le séquestre car il n’est pas « juste ou opportun » de le faire au sens de l’article 243 LFI. En pratique, il semble que les juges de la Saskatchewan ne trouvent jamais opportun de nommer un séquestre national lorsqu’une terre agricole est en cause et que la loi provinciale n’a pas été respectée.

 

Selon la Cour, PapaCo est bien insolvable, mais la vente des terres agricoles grevées en faveur de  FistonCo ne sera pas favorisée par la nomination d’un séquestre. Le créancier devra donc suivre la procédure de droit provincial et respecter les délais imposés. Cependant, malgré sa conclusion confirmant le bien-fondé du refus de la nomination du séquestre, la Cour se prononce tout de même sur la question constitutionnelle et détermine que les dispositions du droit provincial sont inopérantes dans le cadre de l’application de la LFI en raison de la doctrine de « paramountcy » ou prépondérance du droit fédéral en matière d’insolvabilité. Selon la Cour d’appel, le premier test de conflit a une réponse négative, car il est possible de respecter les deux lois. Par contre, le second test vise à déterminer si le but et l’objectif de la loi fédérale ne peut être atteint si on doit se conformer à la loi provinciale. Selon la Cour, le but et l’objectif de l’article 243 LFI est la nomination rapide d’un séquestre, de sorte que cet objectif sera bafoué si le créancier doit se conformer au droit provincial. Le procureur général de la Saskatchewan a porté donc la décision devant la Cour suprême du Canada

. Les procureurs généraux de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie Britannique  sont intervenus.

Le Procureur Général du Québec était malheureusement absent. Il aurait été intéressant de l’entendre sur ces points car, contrairement aux lois particulières des autres provinces, c’est en vertu du Code civil que le créancier peut se prétendre « garanti » et ainsi faire nommer un séquestre. Comment alors justifier qu’on écarte ce même Code comme inopérant dans l’exercice des droits que confère ladite garantie? Par contre, l’objectif de la loi fédérale est-il atteint si la discrétion conférée au juge par l’article 243 LFI est restreinte alors qu’il serait « juste ou opportun » de nommer un séquestre?

L’affaire est en délibéré depuis le 21 mai 2015. « Saskatchewan, tu m’as pris mon code » chanteront les Trois Accords. À suivre.

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