Quand l’invention devient l’inventeur

Le mois dernier, un tribunal américain a dû décider si un appareil à base d’intelligence artificielle peut être un inventeur en vertu de la loi américaine sur les brevets. La juge, Leonie Brinkema, a jugé que non, notamment parce que la loi américaine requiert que l’individu prête serment quand il présente sa demande et qu’un individu est, par définition, une personne humaine[1].

Les plaignants entendent faire appel de cette décision. Ceux-ci soutiennent que déclarer un appareil à base d’intelligence artificielle comme inventeur est tout à fait conforme au libellé et à l’esprit de la loi américaine sur les brevets. Cette décision, selon eux, en plus d’empêcher la protection d’inventions générées par des appareils à base d’intelligence artificielle, va à l’encontre de certaines décisions rendues à l’étranger. Par conséquent, pour l’instant du moins, la protection des brevets pour ce genre d’inventions n’est possible qu’en dehors des États-Unis.

Cette question est maintenant d’intérêt international.

En effet, les plaignants ont présenté plusieurs demandes de brevets dans différents pays pour cette même invention générée par un appareil à base d’intelligence artificielle. Puisque les lois en matière de propriété intellectuelle varient d’un pays à l’autre, les résultats divergent. Tout comme aux États-Unis, l’Office européen des brevets a jugé qu’un appareil à base d’intelligence artificielle n’était qu’un outil utilisé par un inventeur humain. Cette demande a donc été rejetée.

Par contre, la Companies and Intellectual Property Commission de l’Afrique du Sud a été la première à reconnaître un appareil à base d’intelligence artificielle comme inventeur. Il est important de noter, toutefois, que les procédures de cette commission se limitent à un examen sur la forme et non le fond de la demande. Il reste donc à savoir si cette reconnaissance résisterait à une contestation judiciaire.

Aussi, peu après, un tribunal australien a également reconnu un appareil à base d’intelligence artificielle comme inventeur[2]. Ce dernier a apporté une nuance importante en précisant qu’un appareil à base d’intelligence artificielle ne peut être le demandeur ou le détenteur du brevet, mais peut être reconnu comme inventeur. Selon le juge Beach, il ne faut pas confondre les notions de propriété et de contrôle, qui se rapportent aux êtres humains, avec la notion d’invention qui, elle, ne serait pas nécessairement réservée aux êtres humains. Il est trop tôt pour jauger si cette décision aura une influence sur d’autres juridictions.

Comme on le sait, les lois peinent à suivre l’évolution des technologies et ne s’appliquent pas uniformément à l’échelle internationale. Il demeure que les législateurs et juges partout sur la planète devront, tôt ou tard, se poser la question soulevée par le juge Beach : « We are both created and create. Why cannot our own creations also create? ».

[1] Thaler v. Hirshfeld et al., Civil Action No. 1:20-cv-903-LMB (E.D.Va.), 2 septembre 2021, j. Leonie Brinkema.

[2] Thaler v. Commissioner of Patents, [2021] FCA 879, 30 juillet 2021, j. Jonathan Beach.

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