Libellé des contrats — Interprétation des clauses relatives aux « efforts » dans les contrats en Common Law
Lors d’une récente tentative de renouvellement de son contrat d’athlète, un pilote de bobsleigh canadien s’est retrouvé sans financement en raison d’un différend sur les termes de son contrat[1]. Les athlètes sont tenus de signer une entente avec leur organisme national de sport (ONS) avant de pouvoir recevoir des fonds fédéraux. Cependant, préoccupé par le libellé des obligations des parties, qui étaient définies comme suit : l’ONS doit faire des « efforts raisonnables pour » et l’athlète doit déployer ses « meilleurs efforts pour », l’athlète a choisi de ne pas signer l’accord, car il trouvait qu’il y avait trop de déséquilibre entre les obligations des parties.
Au fil des ans, les termes « meilleurs efforts » (best efforts), « efforts raisonnables » (reasonable efforts) et, plus récemment, « meilleurs efforts commercialement raisonnables » (commercially reasonable best efforts) fréquemment utilisés en Common Law, ont fait l’objet d’une interprétation judiciaire considérable par les tribunaux canadiens. Bien que l’on puisse présumer que le choix de terme parmi ces différentes déclinaisons est sans conséquence, du point de vue juridique, il existe une différence importante entre la norme applicable à chacun. Alors que le terme « meilleurs efforts » a été interprété de manière assez constante, la norme pour d’autres termes couramment utilisés, comme « efforts raisonnables » ou « meilleurs efforts commercialement raisonnables », a généralement été déterminée par les faits particuliers des cas en l’espèce. En général, les tribunaux ont établi que l’obligation de faire les « meilleurs efforts » impose une norme plus élevée que certaines de ses autres expressions homologues que l’on trouve couramment dans les contrats.
Plongeons dans le vif du sujet et voyons comment les tribunaux ont généralement interprété ces termes :
- Les meilleurs efforts
L’arrêt de principe sur l’interprétation de l’expression « meilleurs efforts » est Atmospheric Diving Systems Inc.[2] dans lequel la norme a été décrite comme suit :
- L’expression « meilleurs efforts » impose une obligation plus élevée qu’un « effort raisonnable ».
- L’expression « meilleurs efforts » signifie prendre, de bonne foi, toutes les mesures raisonnables pour atteindre l’objectif, mener le processus jusqu’à sa conclusion logique et ne négliger aucune piste. Toutefois, cela n’exige pas qu’une partie se sacrifie totalement aux intérêts économiques de la partie à laquelle l’obligation est due, bien que les intérêts de l’autre partie doivent avoir préséance[3].
- Les « meilleurs efforts » comprennent le fait de faire tout ce que l’on sait être habituel, nécessaire et approprié pour assurer le succès du projet.
- Le sens de l’expression « meilleurs efforts » n’est toutefois pas illimité. Il doit être abordé à la lumière du contrat particulier, des parties au contrat et de l’objectif global du contrat tel qu’il est reflété dans son libellé.
- Si les « meilleurs efforts » du défendeur doivent être soumis à des obligations primordiales telles que l’honnêteté et la loyauté, il n’est pas nécessaire pour le demandeur de prouver que le défendeur a agi de mauvaise foi.
- La preuve d’une « défaillance inévitable » (« inevitable failure ») est pertinente pour la question de la causalité du dommage, mais pas pour la question de la responsabilité. Il incombe au défendeur d’établir que l’échec était inévitable, que ce dernier ait déployé ou non ses « meilleurs efforts ».
- La preuve que le défendeur, s’il avait agi avec prudence et diligence, aurait pu satisfaire au critère des « meilleurs efforts », est une preuve pertinente pour soutenir que le défendeur n’a pas utilisé ses meilleurs efforts.
- De simples efforts raisonnables ne suffiront pas à satisfaire au critère des « meilleurs efforts ». Des efforts occasionnels ne suffisent pas non plus. Un niveau d’effort plus élevé est requis.
Cela signifie que les « meilleurs efforts » n’exigent pas qu’une partie « se sacrifie totalement » aux intérêts économiques de l’autre partie, mais que les intérêts de l’autre partie doivent être prioritaires.
- Efforts raisonnables ou efforts commercialement raisonnables
En général, les termes « efforts raisonnables » et « efforts commercialement raisonnables » ont été interprétés de manière interchangeable. Les tribunaux canadiens ont estimé que le terme « raisonnable » fait référence à un « jugement sûr », et que le terme « commercial » signifie « ayant comme objectif principal un profit ou un gain financier » plutôt qu’une perte. Cela suggère que, contrairement à une obligation de « meilleurs efforts », la norme des efforts commerciaux raisonnables permet à une partie de considérer, de façon raisonnable, ses propres intérêts financiers pour décider du moment à partir duquel elle peut cesser ses efforts.
- Les meilleurs efforts commercialement raisonnables
Jusqu’à tout récemment, l’expression « meilleurs efforts commercialement raisonnables » n’a guère été examinée par les tribunaux de Common Law. Cependant, dans la récente affaire Sutter Hill[4], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a donné quelques indications sur sa signification, concluant que l’intention des parties se situait quelque part entre « efforts commercialement raisonnables » et « meilleurs efforts ».
Conclusion
Malgré certaines clarifications, une grande incertitude demeure quant à la façon dont les tribunaux de Common Law traitent les clauses d’« efforts raisonnables » ou de « meilleurs efforts commercialement raisonnables » dans les contrats, bien qu’il soit clair qu’un poids important est accordé aux faits particuliers de chaque affaire. D’un autre côté, cependant, la norme du « meilleur effort » impose des obligations onéreuses, tout en offrant une certaine certitude quant au degré d’effort requis.
[1] https://www.cbc.ca/sports/olympics/winter/bobsleigh/bobsleigh-skeleton-chris-spring-without-funding-1.6550232 (disponible en anglais seulement).
[2] Atmospheric Diving Systems Inc. v. International Hard Suits Inc., (1994) 89 B.C.L.R. (2d) 356 (B.C. S.C.).
[3] Eastwalsh Homes Ltd. v. Anatal Developments Ltd., 1993 CanLII 3431 (ON CA).
[4] Sutter Hill Management Corporation v. Mpire Capital Corporation, 2022 BCCA 13.