Le droit à la remorque du progrès

Intelligence artificielle

À l’instar de l’Union européenne et d’autres états, le gouvernement canadien a présenté le 16 juin 2022 un projet de loi pour encadrer l’utilisation de l’intelligence artificielle (ci-après l’« IA »), soit le projet de loi C-27 ou la Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique[1]. Deux ans plus tard, ce projet de loi demeure toujours au stade de l’examen en comité. En effet, le Comité permanent de l’industrie et de la technologie (ci-après le « Comité ») s’est réuni une trentaine de fois et poursuit toujours son étude du projet, article par article. À l’heure actuelle, le Comité est rendu à l’article 2… Si tous s’entendent sur le besoin d’une loi quelconque pour encadrer l’utilisation de l’IA, certains diront que les membres du Comité s’acharnent à ralentir le processus parlementaire tandis que d’autres diront que ce texte législatif comporte trop d’amendements et que sa rédaction est déficiente.

Depuis le début, les critiques fusent de toutes parts. Une première version du projet de loi avait été rédigée d’une façon délibérément vague pour permettre de s’adapter aux innovations futures. Plusieurs points étaient délégués à des règlements à venir. Par conséquent, des experts se sont inquiétés du risque que cela pouvait poser tant à l’industrie qu’aux citoyens[2]. Le ministre a donc présenté des amendements, notamment, pour définir certaines catégories d’IA à « incidence élevée » et préciser les pénalités applicables. Ce sont justement ces catégories d’IA à incidence élevée que le gouvernement cherche à encadrer.

La législation de l’Union européenne sur le sujet cible également les systèmes d’IA à haut risque. Par contre, elle contient une définition nettement plus exhaustive que la loi canadienne. De plus, la législation européenne interdit complètement l’utilisation de l’IA dans certains contextes, comme la surveillance et la notation des citoyens. Le projet de loi canadien manque-t-il d’ambition ? Peut-on dire que cette rédaction plus vague rend ce projet de loi plus flexible et capable de s’adapter aux inévitables progrès technologiques que la législation européenne ? Les avis sont partagés[3].

Il demeure que l’utilisation de l’IA soulève déjà plusieurs controverses, comme la discrimination dans les logiciels d’embauche, la propagation de la désinformation, la création de fausses images, etc. La situation est loin d’être hypothétique ! D’un côté, il est important d’encadrer l’utilisation de l’IA, mais, d’autre part, il faut aussi éviter de freiner l’innovation. L’équilibre semble difficile à trouver et le gouvernement fédéral a déclaré que le projet de loi n’entrera pas en vigueur avant 2025. Pendant ce temps, les progrès technologiques, eux, ne s’arrêteront sûrement pas. Le temps presse et, comme le dirait le vieux lion, « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge »[4].


[1] Projet de loi C-27, Loi édictant la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données et la Loi sur l’intelligence artificielle et les données apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, 44e lég. (Can.), 1re sess., 2022. Titre abrégé : Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique.

[2] Yanick LEPAGE, « Pendant que l’IA avance, l’encadrement continue de se faire attendre », Radio-Canada, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2080787/intelligence-artificielle-loi-canada-c27.

[3] Alban NORMANDIN, « Ottawa fait-il fausse route avec sa loi sur l’IA ? », Radio-Canada, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2016405/ottawa-intelligence-artificielle-loi#:~:text=Qu’est%2Dce%20que%20la,des%20donn%C3%A9es%20personnelles%20des%20Canadiens.

[4] Citation attribuée à Winston Churchill.

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