Depuis le 23 juin 2023, le paragraphe 1.1 de l’article 45 de la Loi sur la concurrence prévoit ce qui suit :
« Commet une infraction une personne qui est un employeur qui, avec un employeur qui ne lui est pas affilié, complote ou conclut un accord ou un arrangement […] pour ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur ».
Le paragraphe 2 de cet article prévoit quant à lui que quiconque commet cette infraction est coupable d’un acte criminel.
Ces modifications ont été introduites par la Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures (initialement, le projet de loi C-19), laquelle a été sanctionnée le 23 juin 2022.
Dans un souci de transparence et de prévisibilité, le Bureau de la concurrence – qui, rappelons-le, est l’organisme responsable d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence – a publié avant l’entrée en vigueur de ces modifications des Lignes directrices sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage.
Dans ses lignes directrices, le Bureau indique notamment que le paragraphe 1.1 de l’article 45 ne s’applique qu’aux accords pour ne pas solliciter ou embaucher des employés « de l’autre employeur » ; par conséquent, si une restriction dans un accord ne s’applique qu’à un employeur, il va la considérer comme « unidirectionnelle » et non comme un accord avec « l’autre employeur ».
À ce sujet, il présente le cas de figure suivant :
[…]
Exemple 2 : Réciprocité et accords de non-débauchage
L’entreprise A est une société de conseil qui intègre ses employés dans les entreprises de ses clients pendant une période déterminée. Dans le cadre d’un contrat de consultation, l’entreprise B accepte de ne pas embaucher les employés intégrés de l’entreprise A. L’entreprise A ne conclut pas le même accord concernant les employés de l’entreprise B.
Analyse
L’accord de non-débauchage a été conclu par deux employeurs pour empêcher les employés de l’entreprise A d’être embauchés par l’entreprise B. Puisque la restriction contenue dans l’accord ne s’applique qu’aux employés de l’entreprise A, il est à « à sens unique » et ne prévoit pas de promesse réciproque de la part de l’entreprise B. La restriction ne s’applique donc pas aux employés de « l’autre employeur ». Par conséquent, celle-ci n’enfreint pas l’alinéa 45(1.1)b).
[…]
On comprend donc des lignes directrices qu’il est dorénavant interdit de prévoir un accord bilatéral de non-sollicitation ou de non-embauche, c’est-à-dire où les parties prévoient une interdiction mutuelle. Il faut cependant souligner, comme le Bureau le mentionne lui-même dans les lignes directrices, que « l’interprétation finale de la loi relève de la responsabilité des tribunaux », de sorte que les lignes directrices pourraient être revues par le Bureau dans le futur en raison de l’évolution du droit.
Quelles sont les conséquences de ces modifications en ce qui concerne les marchés publics québécois ?
D’emblée, soulignons que, contrairement à certaines dispositions de la Loi sur la concurrence qui s’appliquent uniquement aux concurrents, le paragraphe 1.1 de l’article 45 s’applique aux accords entre employeurs non affiliés, qu’ils se fassent concurrence ou non dans la fourniture d’un produit. Dans cette optique, est-ce que le paragraphe 1.1 de l’article 45 s’applique à un contrat conclu (par appel d’offres ou de gré à gré) entre une entreprise privée et un organisme public ou municipal ? Pour les fins du présent billet, nous présumerons que c’est le cas.
Or, dans le cadre d’un contrat ayant pour objet des services professionnels (incluant les services professionnels en matière de technologies de l’information), il est pratique courante pour l’organisme de prévoir une clause de non-sollicitation et de non-embauche. Généralement, dans le contexte d’un appel d’offres, cette clause interdit au prestataire de services (soit l’adjudicataire retenu à la fin de l’appel d’offres) de solliciter, d’embaucher ou de retenir les services d’un employé ou d’un consultant de l’organisme ayant participé à la préparation de l’appel d’offres aux fins de l’assigner à l’exécution du contrat. Cette clause vise à prévenir les situations d’avantage indu, de conflits d’intérêts, etc. À la lumière des lignes directrices publiées par le Bureau, nous pensons qu’il demeure possible de prévoir une telle clause. Tel que mentionné ci-haut, cette clause ne pourra cependant pas être bilatérale. Il est important de le rappeler car, dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, on remarque que certains soumissionnaires questionnent l’organisme à ce sujet en cours d’appel d’offres et lui demandent parfois même de modifier la clause par addenda de manière à la rendre bilatérale par souci d’équité.